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départ, il fut obligé d’emprunter 20,000 pistoles que le roi demandait d’urgence.

Le 27 août, Foucquet monta dans un carrosse avec de Lionne, qui était de ses amis ; Le Tellier, qui n’en était pas, en occupait un autre avec Colbert. Au-dessous d’Angers, les voyageurs se mirent en bateau, toujours en deux bandes, sur la Loire ; le 30, ils débarquèrent à Nantes. Le roi n’y arriva que le lendemain ; dès le soir même, il s’enferma dans son cabinet, au vieux château, afin de mettre la dernière main au plan déjà concerté pour l’arrestation du surintendant. Celui-ci, fatigué du voyage, était souffrant de la fièvre ; l’officier qui devait l’arrêter, d’Artagnan, sous-lieutenant des mousquetaires, l’était encore davantage. Il fallut différer de trois jours. Enfin, le dimanche, 4 septembre, vers midi, Louis XIV appela d’Artagnan dans son cabinet, lui donna verbalement l’ordre d’arrêter Foucquet, le lendemain matin, au sortir du conseil, et d’aller prendre chez Le Tellier ses instructions écrites. Le roi, sous prétexte de chasse, avait fait convoquer le conseil plus tôt que d’habitude. Le 5 septembre, — trois ans, jour pour jour, après l’acquisition de Belle-Isle, — les ministres arrivent à l’heure dite ; la séance est courte ; de Lionne et Le Tellier sortent, le roi retient Foucquet sous un prétexte quelconque, et quand il a vu par la fenêtre Artagnan à son poste, il congédie la victime.

Voici d’ailleurs, et textuellement, le récit qu’il a envoyé le soir même à la reine Anne d’Autriche : « Madame ma mère, je vous ai déjà écrit ce matin l’exécution des ordres que j’avois donnés pour faire arrêter le surintendant. Je suis bien aise de vous mander tout le détail de cette affaire. Vous savez qu’il y avoit longtemps que je l’avois sur le cœur ; mais il m’a été impossible de la faire plus tôt, parce que je voulois qu’il fît payer auparavant 30,000 écus pour la marine, et que d’ailleurs il falloit ajuster diverses choses qui ne se pouvoient faire en un jour ; et vous ne sauriez vous imaginer la peine que j’ai eue seulement à trouver moyen de parler en particulier à Artagnan ; car je suis accablé tout le jour par une infinité de gens fort alertes et qui, à la moindre apparence, auroient pu pénétrer bien avant. Néanmoins, il y avoit deux jours que je lui avois commandé de se tenir prêt et de se servir de Desclaveaux et de Maupertuis, au défaut des maréchaux des logis et brigadiers de mes mousquetaires dont la plupart sont malades. J’avois la plus grande impatience du monde que cela fût achevé, n’y ayant plus autre chose qui me retînt en ce pays. Enfin, ce matin, le surintendant étant venu travailler avec moi à l’accoutumée, je l’ai entretenu tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, et fait semblant de chercher des papiers, jusqu’à ce que j’aie aperçu, par la fenêtre de