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que le roi a biffé, la qualité de Kronprinz, dont il l’a dépouillé. Ils font entendre au roi que leur devoir inné de fidélité s’adresse non-seulement à sa personne, mais à toute sa maison. Ils s’excusent, en sous-entendus, de ne point faire ce qu’ils supposent sa volonté, sur leur dévoûment même, leur respect profond, leur religieuse fidélité, et ils se retirent, après un salut d’officiers au roi chef de guerre, après un agenouillement de vassaux devant le roi suzerain.

Quant au principal complice, Katte, tout le monde, à l’avance, le croyait perdu. Il ne pourra, écrivait le ministre de France, « se dispenser de perdre la tête. » Sans nul doute, cette opinion a pesé sur les juges, et peut-être ont-ils voulu, sans se l’avouer, faire en quelque point la volonté du roi. D’ailleurs, Katte était très coupable. Il est bien, lui, un officier qui a voulu déserter. Par obéissance au maître futur, il s’est mis en révolte contre le maître présent. Il est certain qu’il a « fortifié » le prince dans son dessein, qu’un refus de concours eût fait abandonner ; certain, que son ambition trouvait son compte dans son dévoûment chevaleresque au prince. En stricte justice, il est passible de la peine de mort ; mais la stricte justice, quelle injustice ! Les circonstances atténuantes abondent au procès : celle-ci d’abord, que le prince, le principal accusé après tout, est renvoyé indemne ; cette autre, que l’exécution n’a pas suivi l’intention, enfin le « beaucoup de jeunesse » qu’il y avait dans tout cela.

Le lieutenant-général Schulenbourg, qui est honnête homme, très religieux, et qui, à, soixante-dix ans, ne redoute plus rien des hommes et n’espère plus rien d’eux, a mis dans l’urne le suffrage de Minerve. Grâce à lui, les juges de Köpenick ont bien jugé.


IV

Au reçu du jugement, le roi écrivit ce billet, où il y a deux mots illisibles :

Votum Regiis (sic). « Ils doivent juger selon le droit, et, non pas épousseter avec un plumeau, et comme Katte a bien,.. le conseil de guerre devra se réunir de nouveau, et… juger autrement… »

Quelques jours après, il commentait cet ordre en accusant les juges d’intentions viles : « Je croyais avoir choisi des gens d’honneur, qui n’oublieraient pas leur devoir, qui n’adoreraient pas le soleil levant, et ne consulteraient que leur conscience et l’honneur de leur roi. » Il appelait le jugement « une infidélité commise envers lui, » et dont la cause était que ces gens-là « regardaient déjà vers l’avenir. » Ces gens-là, il les connaissait mieux à présent, et