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Il est vrai qu’il faudrait s’entendre sur ce mot même de rhétorique ; et c’est ce qui n’est pas facile, depuis qu’on l’a détourné de son ancien sens, de celui qu’il avait encore au temps de Bossuet et de Pascal, pour en faire une espèce d’injure littéraire. Aussi bien vivons-nous dans un temps où chacun se plaît d’attacher aux mots le sens qui lui convient, sans se préoccuper autrement ni de leur signification, ni de leur histoire, ni de leur origine. Qu’est-ce que voulait dire, par exemple, M. Ernest Renan, l’autre jour, dans la Préface du tome III de son Histoire du Peuple d’Israël, quand, à ceux qui ne voient pas entre Félix Pyat et le prophète Jérémie la ressemblance dont il s’égare lui-même, il reprochait assez aigrement « leur susceptibilité de rhéteurs ? » Il ne se proposait, j’imagine, que de leur être désagréable ; car quelle « rhétorique » peut-il y avoir à trouver une ressemblance douteuse, une comparaison mauvaise, un rapprochement malheureux ; — et à le dire, très simplement ? On peut le dire, on peut avoir d’autres idées que M. Renan sur les prophètes, et n’être pas un « rhéteur » pour cela ! Mais, à son tour, M. Maxime Du Camp, dans son Théophile Gautier, lorsqu’il nous dit qu’avec les vers de Musset, ceux de Gautier sont les seuls de leur temps qui ne soient pas « entachés de rhétorique, » comment l’entend-il ? Et nous, comment l’entendrons-nous ? Car j’avais pensé jusqu’ici qu’il n’y eût point de « rhétorique, » ou bien peu, dans Jocelyn et dans les Destinées, par exemple, dans les vers de Lamartine et dans ceux de Vigny, mais j’en trouvais beaucoup, au contraire, et bien plus que je n’en eusse voulu, dans Albertus et dans Rolla.


Regrettez-vous le temps où le ciel sur la terre,
Marchait et respirait dans un peuple de dieux…
Dors-tu content, Voltaire, et l’on hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés…
Cloîtres silencieux, voûtes des monastères,
C’est vous, sombres caveaux, vous qui savez aimer…


Qui jamais a plus abusé que Musset de l’exclamation, et de l’apostrophe, et généralement de tout ce qu’il y a de « figures » cataloguées dans les traités des rhéteurs ? Mais, pour Gautier, n’est-il pas plaisant qu’on veuille exempter aujourd’hui du reproche de rhétorique celui de tous nos contemporains qui a cru le plus fermement au pouvoir des « vocables, » à leur valeur propre et intrinsèque, extérieure et supérieure à celle des idées qu’ils expriment ? Pour ne pas nous égarer parmi toutes ces contrariétés, tenons-nous-en donc aux anciennes définitions, et prenons ici le mot comme on l’a toujours pris, depuis