Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 102.djvu/719

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

Quinze jours sont à peine écoulés depuis que la maison Baring frères a dû avouer officiellement son état d’insolvabilité et invoquer l’aide de la Banque d’Angleterre, et déjà tous les marchés financiers européens semblent remis de l’alerte causée par un si extraordinaire événement. La maison Baring était un des établissemens de banque les plus anciens, les plus considérables et les plus respectés de la Grande-Bretagne. Ses opérations étaient énormes, son crédit hors de cause, sa solidité paraissait défier toute atteinte. Mais les chefs de cette maison aux assises si puissantes n’ont plus voulu, à un moment donné, se contenter des bénéfices de banque, que la concurrence tendait à rendre peu à peu plus modestes. Ils se sont lancés dans les opérations plus lucratives, en même temps plus hasardeuses, des avances aux pays jeunes. Ils ont prêté sans compter à la République Argentine, à l’Uruguay ; ils ont engagé capitaux sur capitaux dans des combinaisons destinées à leur assurer le contrôle de compagnies gigantesques de chemins de fer aux États-Unis.

Le malheur a voulu qu’ils n’aient pas su s’arrêter à temps, limiter leurs immobilisations de fonds, qu’ils aient trop compté sur les facultés d’absorption et sur la confiance crédule de l’épargne européenne. lis se sont chargés, jusqu’à plier sous le faix, de papiers exotiques, avant de s’apercevoir que le public souscripteur devenait réfractaire. La maison supporte aujourd’hui la peine d’un défaut de prévoyance ou d’un défaut d’habileté. Elle a failli succomber parce que le public s’était refusé à assumer le fardeau qui devait toujours écraser quelqu’un, la maison ou le souscripteur.

Toute la moralité de l’incident est là. Le public n’a supporté qu’une partie du désastre, et l’un des grands instrumens de création et de diffusion des valeurs mobilières s’est trouvé faussé, mis passagèrement hors de service.

La maison Baring, disons-nous, a failli succomber. Elle est encore debout, en effet, ou à peu près, en ce sens qu’il sera fait honneur à tous ses engagemens. Sa chute effective eût entraîné en Angleterre et dans le monde entier d’incalculables désastres financiers. Soutenir cette maison était une œuvre de salut public, universel. C’est ce qu’ont bien compris le gouvernement anglais, la Banque de France, la Banque d’Angleterre et tout ce que la Cité contient de maisons de banque de premier ordre. Le prêt de 75 millions en or, consenti par