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propositions de la France, soit pour travailler à Lisbonne, par l’intermédiaire du roi de Portugal, à détacher Ferdinand VI de Louis XV) : — « Il y aurait un moyen bien simple, disait-elle, de mettre tout le monde d’accord et de contenter l’Espagne. Le bruit n’a-t-il pas été répandu et ne tient-on pas pour certain que le roi de Sardaigne, sortant de la coalition, s’est entendu un jour secrètement avec la France pour opérer, à son profit, un partage des provinces septentrionales de l’Italie, et le ministre de Charles-Emmanuel n’en a-t-il pas fait à Turin une demi-confession ? Qu’on apporte donc la preuve de cette défection, et, pour punir l’allié infidèle qui l’a commise, qu’on lui retire les acquisitions qui lui ont été assurées par le traité de Worms. Voilà un lot tout préparé pour l’infant Philippe. Et de quoi se plaindrait le roi de Sardaigne, ajoutait l’impératrice ; s’il a violé lui-même le traité de Worms, n’est-il pas de toute justice qu’on le tienne pour annulé ? .. »

L’Angleterre n’aurait pas été embarrassée, nous le savons, de fournir la preuve réclamée, puisqu’elle avait été tenue au courant, jour par jour, des défaillances du cabinet piémontais ; et, à défaut d’autre document, la correspondance de son ministre à Turin, pendant cet instant critique, en aurait fourni l’incontestable témoignage. Mais elle ne se souciait nullement, en livrant Charles-Emmanuel aux ressentimens ordinairement implacables de Marie-Thérèse, de s’aliéner son plus important, sinon son plus fidèle ami dans la Péninsule. Elle était moins pressée encore de convenir qu’elle avait elle-même connivé aux faiblesses piémontaises en en gardant le secret. On peut croire que Marie-Thérèse, qui, si elle n’avait pas tout su, avait au moins tout soupçonné et tout deviné, savait parfaitement que, si la faute avait été commise, on ne lui livrerait pas le coupable, et surtout on se garderait bien de lui en fournir la démonstration. Cette insistance vraiment dérisoire n’avait pour but, évidemment, que de mettre son interlocuteur dans l’embarras[1].

Le temps s’écoulait cependant dans ces propos aigres-doux et dans ce jeu d’escrime un peu puéril : la saison des opérations militaires approchait, et on se reprenait à penser qu’une nouvelle campagne, mieux préparée, mieux secondée par la fortune, réduirait la France à retirer même l’expression de ses vœux timides, ce qui finirait le sujet de discussion et dispenserait chacun de prendre sa part dans un sacrifice qui ne serait plus nécessaire. Au pis-aller,

  1. D’Arneth, t. III, p. 265. — Cette proposition de Marie-Thérèse, dont j’ai trouvé la trace aussi dans d’autres documens, ne me paraît pas avoir été faite sérieusement. C’était, à mes yeux, une manière de faire entendre à l’Angleterre ce qu’elle pensait de l’attitude louche gardée à Turin par le ministre anglais pendant la défaillance de Charles-Emmanuel.