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avec l’espoir d’acquérir une gloire nouvelle, le fruit de ses exploits passés. S’il s’était décidé à y mettre la main, c’était surtout pour consacrer par une action commune l’union des deux familles royales dont il était désormais l’allié, et traverser les desseins d’un ministre dont il désirait la chute. Ce double résultat obtenu, son zèle se refroidissait visiblement.

Le printemps qui approchait lui apportait de nouvelles perspectives de victoires, tandis que, pour offrir la paix à l’Autriche dans des conditions de nature à la séduire, il fallait commencer par lui promettre la restitution des Pays-Bas, et renoncer ainsi à ce joyau précieux dont il avait pu se flatter de faire don à la couronne de France. Ce sacrifice lui coûtait et lui semblait médiocrement compensé par un chétif établissement accordé à un infant d’Espagne en Italie. C’est ce qu’il laissa clairement voir en envoyant à Brühl la première lettre de Richelieu. Il l’engageait vivement à faire prononcer l’Autriche sans délai, parce que, si on laissait, disait-il, la France reprendre, avec la suite de la guerre, le cours de ses victoires, le roi serait peut-être moins disposé à se dessaisir de la jouissance du Brabant qui lui rapportait déjà cinquante millions. — « Vous conviendrez que c’est un objet, ajoutait-il, et voilà tout ce que je peux vous dire sur cette affaire. »

Si c’était Louis XV lui-même qui eût fait entendre une telle menace, tout le monde, même Marie-Thérèse, y aurait peut-être regardé. Mais, tenu par Maurice seul et confié à l’oreille du comte de Brühl, ce langage ne devait ni être écouté, ni parvenir à son adresse. Ce fut tout cependant, et depuis lors, pas un mot ne se retrouve plus sur ce sujet dans la correspondance de Maurice[1].

Ni Richelieu ni Brühl, à la vérité, n’avaient les mêmes motifs pour quitter la partie si facilement. Tout au contraire, l’un avait peine à renoncer à la confidence d’un secret d’état qui accroissait son importance, l’autre, resté tout Autrichien au fond du cœur, tout en touchant l’argent de la France, se plaisait dans ce rôle de médiateur qui lui permettait de se maintenir à la fois en relations amicales avec les deux cours ennemies. L’un et l’autre devaient donc continuer plusieurs mois encore, en piétinant sur place, et sans faire un pas vers une solution, des correspondances qui,

  1. Maurice de Saxe au comte de Brühl, 13 février 1747. — Vitzthum. p. 170. — Une des idées exprimées dans cette lettre, c’est que, si Louis XV persistait dans son système de renoncement personnel, il pourrait au moins établir l’infant dans les Pays-Bas et poser ainsi une barrière entre la France et la république de Hollande. — Le comte de Loss s’était aperçu de la froideur du maréchal, car, en envoyant cette lettre avec celle de Richelieu au comte de Brühl : « Nous avons, dit-il, eu une longue conversation sur ce grand objet cher le maréchal de Saxe, qui n’a abouti à rien et dont je ne suis guère content. » — (Loss à Brühl, 13 février 1747. — Archives de Dresde.)