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guère fait que l’amplifier. Filippo Villani, qui succède à Boccace dans sa chaire de Dante, se contente, à très peu de chose près, de le répéter, et Francesco da Buti de le résumer. Les commentateurs du XIVe siècle, auxquels on recourt volontiers, parce qu’on croit qu’étant plus rapprochés du poète, ils ont pu être mieux renseignés sur son compte, lui empruntent également presque tous les traits biographiques dont ils émaillent leurs annotations.

De bonne heure aussi, biographes et commentateurs cherchent dans l’œuvre même de Dante des renseignemens sur Dante. Or, sans parler des abus auxquels devait donner lieu l’interprétation de certains vers de la Divine comédie, dans lesquels on a voulu voir des allusions à des événemens supposés de la vie du poète, il était dangereux de prendre, comme on l’a fait longtemps, la Vie nouvelle pour un fragment d’autobiographie. Au premier aspect, il est vrai, ce petit livre ne semble pas autre chose. Il débute sur le ton d’une confession personnelle : « Dans cette partie du livre de ma mémoire, avant laquelle il y aurait peu de chose à dire, se trouve un titre qui dit : Incipit vita nova. Sous ce titre, je trouve les paroles que j’ai l’intention de rappeler dans ce petit livre, sinon toutes, au moins leur sens. » Et aussitôt après ce préambule, l’auteur entre en matière, comme s’il s’agissait d’un récit dont il est le héros. Si, toutefois, on examine de plus près la contexture de l’œuvre, on remarquera que le récit direct ne tarde pas à dévier : il fait place à la description d’un certain nombre de visions qui ont servi de thèmes à des pièces de vers dont ses différentes parties ne sont que le commentaire. Or, c’est là une forme littéraire caractérisée qui a disparu, mais qui a eu son existence indépendante ; Dante lui-même l’a employée ailleurs, dans le Convito, et elle se rapproche de celle adoptée par Francesco da Barberino. Elle laisse donc libre champ à l’imagination de l’auteur ; elle ne l’oblige point à la stricte exactitude : elle lui impose même l’obligation d’adapter à des formules d’art les confessions qu’il lui plaît de faire et les faits qu’il raconte. En sorte que la Vie nouvelle, dans laquelle il y a certainement beaucoup à prendre, n’est guère une source plus sûre que la « vie » de Boccace. L’historien qui l’accepterait sans réserves, — et presque tous les biographes de Dante l’ont fait, — se tromperait autant que celui qui, pour établir la biographie de Goethe, se contenterait de résumer Vérité et Poésie.

Quelques-uns des biographes du XVe siècle ont commencé déjà à se méfier de Boccace ; ainsi Léonardo Bruni apporte quelques faits nouveaux qu’il prétend avoir puisés dans des lettres. Par malheur, ces lettres ne nous sont pas parvenues, et l’on ne peut contrôler ni leur authenticité, ni l’exactitude des citations. Les assertions de