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mars, le public s’en trouva saisi pour ainsi dire. Sous ce titre : « Discours au roi par un de ses fidèles sujets sur le procès de M. Foucquet, » une brochure, on disait alors un libelle, sortie d’une imprimerie clandestine, venait d’apparaître au grand jour. La défense était pressante, éloquente, émouvante. D’où venait-elle ? Du fond de la Bastille ; c’était Pellisson, prisonnier et menacé lui-même, qui était l’auteur du chef-d’œuvre. On peut dire que l’opinion publique n’attendait pour prendre feu que cette étincelle : ce fut dès lors comme un incendie qui gagna de proche en proche. Puis vint la plainte exquise de La Fontaine, l’appel élégiaque aux nymphes de Vaux :


Oronte est à présent un objet de clémence ;
S’il a cru les conseils d’une aveugle puissance,
Il est assez puni par son sort rigoureux
Et c’est être innocent que d’être malheureux.


Dès lors dans le monde étendu de ses amis et amies, Foucquet ne fut plus que « l’illustre malheureux. »

Le temps passait, les meneurs du procès étaient de plus en plus embarrassés, les interrogatoires de l’accusé ayant tourné plutôt à son profit qu’à son désavantage. Pour se donner de ce côté quelque répit, on fit dévier l’instruction vers les trésoriers et les commis de l’Épargne. Ce fut seulement après deux mois et demi que les commissaires revinrent à Foucquet et aux griefs concernant les finances. Dans le sein de la chambre, une grande question s’agitait : devait-on donner à l’accusé un conseil et lui communiquer sinon tous ses papiers, du moins les inventaires ? La prétention de Talon était qu’il se reconnût d’abord justiciable de la chambre et qu’il avouât sa compétence, à quoi Foucquet se refusait énergiquement, ou ue, nonobstant cette résistance, il fût jugé comme un muet. Assimiler à un muet l’homme qui avait déjà et si souvent répondu, la prétention était un peu forte ; il n’y fut pas alors donné suite. Les rigueurs de la prison reçurent même quelque adoucissement, le prisonnier obtint enfin les moyens d’écrire. Dès lors l’ancien procureur-général commença d’employer tout ce que lui avait appris son expérience juridique, et, contre des juges qu’il ne reconnaissait pas, il mit en jeu tous les procédés de la chicane ; en même temps, il faisait appel à sa mémoire qui était tout à fait extraordinaire et il reconstruisait dans sa tête, avec toutes leurs péripéties, faits et chiffres compris, les principaux actes financiers de sa surintendance.

Un jour du mois de juillet, les présidens et conseillers du parlement, entrant à la grand’chambre, passèrent devant trois femmes