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contre-mines, la fertilité de ressources et le sang-froid d’un grand tacticien ! Il va récuser Séguier, Talon, Foucault, Voysin, Pussort : on fait observer que, contestant la compétence de tous ses juges, il est singulier qu’il entende exercer des récusations particulières. L’observation est juste, mais le coup est porté ; ceux qu’il aura signalés au public comme ses ennemis personnels seront pour le public moralement récusés. Au sujet de Pussort, oncle de Colbert, il y a eu, dans la chambre, quelques avis pour qu’il s’abstînt de juger ; l’un des magistrats de province a même eu un mot terrible : « Si M. Foucquet prouvoit que M. Colbert a comploté sa perte, ce seroit l’anéantissement de la procédure. »

La procédure ! c’est en vain que l’accusé réclame la communication des pièces qui en sont la base ; on la lui refuse : c’est donc, va-t-il dire énergiquement, qu’on prétend le juger « non-seulement comme muet, mais comme sourd et aveugle. » Talon aurait voulu qu’on lui retirât l’aide des avocats, ses conseils. Afin de l’effrayer, de stimuler les juges et d’agir en même temps sur l’opinion, le. procureur-général requit contre Gourville la peine de mort et la fit même prononcer ; mais l’exécution ne put être faite qu’en effigie. Le condamné vivait tranquillement à Dijon, chez M. le Prince, qui, après avoir été des ennemis de Foucquet, lui était devenu favorable. Soit bravade, soit plutôt ignorance de l’arrêt rendu contre lui, Gourville vint à Paris sur ces entrefaites ; on lui montra le mannequin qui avait été pendu en son lieu et place ; il trouva qu’il manquait de ressemblance, et la remarque faite, s’empressa de regagner son asile.

Talon avait enfin déposé sur le bureau son acte d’accusation, sa « production, » en style de palais. C’était un gros manuscrit ; le préambule ne comprenait pas moins de 120 pages. Le procès pouvait commencer. Il ne fallut pas moins de 42 séances, du 10 avril au 7 juillet 1663, pour entendre la lecture de la production avec ses annexes et le rapport d’Olivier d’Ormesson. Puis vint la réplique de Foucquet. Le fameux projet de défense en main, Talon s’en était servi comme d’une preuve pour l’accusation de lèse-majesté. Sur ce point, la réponse de Foucquet était particulièrement intéressante. « Mon accusateur, disait-il, prétend que la pensée d’un crime est un crime, qu’une tentation est un péché, et qu’un homme qui, dans le déplaisir légitime qu’il conçoit d’une injuste oppression dont il est menacé, examine les moyens que la douleur lui suggère pour s’en garantir, est criminel, encore qu’il ne les exécute pas, encore qu’il ne les tente pas, encore qu’il n’y consente pas… Les grandes charges ne mettent pas l’esprit à couvert contre les pensées ; la sainteté même n’exempte pas des