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permettait d’aller aux eaux de Bourbon. S’il est vrai que cette faveur lui ait été promise, il n’eut pas le temps d’en profiter. Un coup de sang l’emporta subitement, le 23 mars 1680 ; il avait soixante-cinq ans. Son corps fut rapporté à Paris, et descendu dans le caveau de famille, chez les Visitandines de la rue Saint-Antoine.

Trois ans après, Colbert mourait, inquiet, agité, malgré ses grands services, débordé par le flot montant des dépenses royales, désespéré de n’y pouvoir plus suffire, presque en disgrâce et maudit du peuple. On a dit qu’il rêvait de Foucquet, dans ses derniers jours, et du sort de Foucquet.

Trente ans après, au milieu des désastres de la guerre et des horreurs de la famine, Louis XIV, se roidissant contre la détresse, en était réduit à faire lui-même à Samuel Bernard, un traitant, les honneurs de Marly, pendant que son ministre Desmarest, le neveu de Colbert, sollicitait les gens d’affaires, et passait avec eux, à des conditions usuraires, des traités, des contrats d’emprunts, des baux d’affermage, dossiers futurs d’une autre chambre de justice. Louis XIV vieilli se retrouvait au même point que Louis XIV adolescent, alors que, trop heureux de recourir à Foucquet et d’user de son crédit jusqu’à l’abus, Mazarin lui écrivait : « Je sais que vous avez engagé tout ce que vous aviez au monde pour nous assister… J’en ai toute la reconnoissance que je dois et je suis touché au dernier point de la manière dont vous en avez usé. J’en ai entretenu au long Leurs Majestés, lesquelles sont tombées d’accord que vous êtes plein de zèle très effectif et qu’on doit faire cas d’un ami fait comme vous. Elles m’ont donné charge de vous remercier de leur part de l’effort que vous avez fait et de vous assurer qu’elles en conservent le souvenir. » Ce souvenir revint-il, en 1710, à la pensée de Louis XIV ? Se dit-il, en ces tristes années, qu’un serviteur comme Foucquet lui aurait été d’un grand secours ? Eut-il un regret, un remords ? Chi lo sa ?

Il faut conclure et dire ce que je crois en conscience. Après Enguerrand de Marigny, après Jacques Cœur, après Beaune de Samblançay, Nicolas Foucquet a succombé sous une conjuration d’inimitiés personnelles, sous un concert de jalousies implacables, odieuses et calomniatrices.

Je remercie M. Lair de m’avoir donné l’occasion et fourni les moyens de me faire une opinion décidément et complètement sympathique au dernier des surintendans, à « l’illustre malheureux, » à l’arrière-grand-père du comte de Gisors.


CAMILLE ROUSSET.