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à la Beauce, aux prairies normandes. » — La Sologne, ce n’est pas très encourageant. Néanmoins, toutes les perspectives changeraient si l’on pouvait se promettre d’atteindre les riches territoires du Soudan central et le lac Tchad ; mais l’Angleterre a pris les devans ; les déversoirs naturels de ces territoires seront désormais le Bas-Niger et le Bénoué ; la voie de Saint-Louis-Dakar, trois fois plus longue et grevée de transbordemens, n’a aucune chance de lutter contre les voies courtes, faciles, exploitées par les futurs maîtres du Soudan central.

Le tableau est un peu sombre ; j’y voudrais quelques correctifs. Il est trop certain que les bassins du Haut-Sénégal et du Haut-Niger ont été dépeuplés, dévastés au-delà de toute imagination, par les bandits qui se disputent depuis cinquante ans l’empire d’El-Hadj-Omar. Mais on repeuple vite en Afrique ; il suffira d’une période d’ordre et de paix pour que les noirs grouillent à nouveau autour des villes relevées de leurs ruines. Dans le pays de Khong, M. Binger a trouvé des populations beaucoup plus denses ; il y a visité des contrées riches et fertiles ; en descendant le Comoé pour gagner la côte, il a traversé la forêt tropicale, avec sa végétation luxuriante. Elle couvre cette zone jusqu’aux Rivières du sud. On connaît des gisemens miniers dans le Fouta-Djallon, on recueille de l’or sur un grand nombre de points. Il est impossible de porter un jugement d’ensemble sur d’aussi vastes espaces, échelonnés sous 12 degrés de latitude ; tous les terrains s’y rencontrent et les climats y diffèrent. On peut y tenter avec succès de nouvelles cultures. Le prix des transports s’abaisse rapidement ; le fret d’une tonne de marchandises entre Bordeaux et Kayes est tombé de 700 francs, en 1882, à 60 francs, en 1890. Faites donc des calculs de prévision, avec d’aussi prodigieux changemens dans les conditions du commerce ! Quant à la pénétration vers le Soudan central, elle est très compromise, mais nous ne connaissons pas assez bien toutes les données du problème pour en désespérer d’une façon absolue. Si l’on construit vivement les 250 kilomètres de chemin de fer jusqu’à Bammako, si nous ne rencontrons pas de résistance vigoureuse sur le Niger moyen, nous pouvons être dans deux ou trois ans à Say. Il est peu probable que le Sokoto et le Bornou soient déjà enveloppés par les Anglais à cette époque. Avec un coup d’audace, — je n’affirme rien, je risque une hypothèse, — nous réussirons peut-être à jeter une voie ferrée sur notre ligne Say-Barroua, vers le Tchad. En nous prévalant de l’acte de Berlin, qui assure dans le bassin du Niger une entière parité de droits à toutes les entreprises commerciales, à toutes les voies de communications, nous pourrions trouver avantage à prendre ainsi le Haut-Soudan en écharpe, à attirer une partie de son trafic, à