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amazones du temps de la confédération, et des luttes de l’insurrection de 1831.

Mais tout l’héroïsme d’Henryka, joint au courage et au talent militaire de Demboski, ne pouvait conjurer la destinée. les Polonais, complètement battus, mis en pleine déroute, se retirèrent en désordre à Podgorzé. Plus de mille insurgés étaient restés sur le champ de bataille. La faux du paysan polonais avait fait une terrible moisson.

Benedek poursuivit sa victoire avec toute l’énergie qui lui valut plus tard de si nombreux lauriers, sur les champs de bataille de l’Italie et de la Hongrie. Avec le peu de troupes dont il disposait, et les quelques bandes de paysans qui s’étaient ralliés à lui, il s’acharna à la poursuite des fuyards, et arriva presque aussitôt qu’eux à Podgorzé.

Demboski était d’avis d’engager encore une fois la lutte, mais les autres chefs étaient découragés ; ils disparurent l’un après l’autre, et, bientôt, Demboski se trouva seul dans le presbytère où avait eu lieu le conseil de guerre. Alors, complètement désespéré, il se laissa tomber sur une chaise. À ce moment de faiblesse et d’abattement, il sentit une petite main ferme s’appuyer sur son épaule ; il leva lentement la tête, et vit Henryka Listewska debout devant lui.

— Allons, du courage, mon ami, et d’abord du sang-froid. Est-ce qu’il ne nous reste plus rien à faire ?

— Il ne nous reste plus qu’à mourir honorablement, répondit Demboski avec un sourire douloureux.

— Eh bien ! soit ; nous mourrons ensemble.

Les Autrichiens avaient pris Podgorzé d’assaut. Les derniers insurgés, après avoir essayé vainement de résister, s’enfuyaient en désordre dans la direction de Cracovie.

Cependant, une petite troupe, adossée à l’église, persistait à faire face à l’ennemi. A sa tête, on voyait un jeune homme en uniforme polonais, le sabre courbe au poing, et, à côté de lui, une jeune fille, arborant le drapeau polonais comme un dernier défi à l’ennemi. En voyant avancer sur elle un détachement autrichien, cette troupe fit leu, mais il suffit d’une salve ennemie pour coucher par terre le plus grand nombre de ces héros. Les derniers qui restèrent debout prirent la fuite à leur tour.

On trouva, parmi les tués, le chef de la petite phalange, la jeune fille porte-drapeau, et plusieurs prêtres.

A la même heure, Cracovie capitulait, et les Autrichiens, les Russes et les Prussiens l’occupaient d’un commun accord.

Le bruit courut que Demboski s’était échappé ; mais jamais, depuis, on n’a entendu parler de lui.