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ne s’attacher qu’à ce qui intéressait directement le budget et de renvoyer tout le reste à une commission déjà chargée de préparer une loi organique sur les caisses d’épargne. La chambre, cependant, sans rien écouter, s’est jetée à corps perdu dans tous ces problèmes compliqués, délicats, minutieux, accumulant les résolutions contradictoires, pour le moment impraticables, et c’est là justement que M. le ministre des finances, poussé à bout, a laissé éclater une impatience découragée et un peu irritée ; c’est là aussi que M. le président du conseil, entrant dans son rôle, est venu au secours de M. le ministre des finances en proposant tout simplement de finir par où on aurait dû commencer, par la division de ces questions obscures. Il a réussi, c’est fort heureux. Chose caractéristique seulement ! la chambre s’est peut-être arrêtée, non devant les raisons sérieuses, pratiques, qui lui ont été données, mais parce qu’on lui a fait sentir qu’elle courait à un autre genre d’impopularité, qu’elle s’exposait à compromettre la bonne renommée des finances républicaines. Et c’est ainsi qu’on a échappé à une crise ministérielle. Premier acte de cet imbroglio du budget ! Il y en a un autre plus grave, où se dévoile non plus seulement l’esprit de confusion, comme dans la question des impôts nouveaux et des caisses d’épargne, mais l’âpre esprit de parti se servant des lois fiscales comme d’un instrument de guerre religieuse.

C’est cette étrange affaire de l’impôt des communautés religieuses qui a occupé deux journées de la chambre, qui soulève toute sorte de questions de droit, de légalité fiscale, de propriété et surtout d’équité. On sait le fond des choses. On sait ce qu’il en est de ce droit dit d’accroissement, dû à l’imagination troublée de M. Henri Brisson, inscrit dans deux lois de 1880-1884 et destiné à compléter, à aggraver les autres impôts qui frappent déjà les communautés religieuses.

Il se résume à peu près en ceci : à la mort de chaque religieux ou de chaque religieuse, — et les morts sont fréquentes dans des communautés qui comptent 1,000, 5,000, 10,000 membres, — un héritage est censé s’ouvrir. Tous les survivans de l’ordre sont censés hériter de ce qui était censé appartenir au mort dans la propriété commune. Ils ont leur part individuelle sur tous les biens immobiliers ou mobiliers, — écoles, maisons de refuge ou de bienfaisance, — disséminés sur une multitude de points de la France. Autant il y a de parcelles de cette propriété subdivisée, fractionnée par une fiction, autant il y a de déclarations à faire aux bureaux de mutation, et, par une combinaison du droit d’accroissement avec les lois d’enregistrement, il se peut que les taxes absorbent 50, 75 pour 100, quelquefois la totalité de ce prétendu héritage. C’est là le fait constaté, avéré ; c’est ce que M. l’évêque de Versailles a pu appeler « la confiscation à terme, certaine, à brève échéance. » — Voici qui est plus curieux : à qui s’applique cette étrange législation ? à tout le monde, dit-on, aux congrégations