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avons les nôtres, l’Italie en cherche et l’Allemagne se plaint de n’en point avoir. On rivalise de politesse avec ces hommes qui font de si bons soldats, et qui ont tant de frères dans les pays convoités. Ce qui est mort, et bien mort, ce n’est pas l’Islam, c’est l’esprit de croisade. Je n’engagerai pas un Oriental, embarrassé de sa personne, à se faire chrétien : on le renverrait de mauvaise grâce à son évêque ou à son archimandrite. Les ambassades n’apercevraient en lui qu’un protégé fâcheux, un national indiscret. Qu’il reste musulman, qu’il fasse en conscience ses trois ablutions par jour, les consulats se disputeront l’honneur de son amitié, tandis que la Sublime-Porte lui fera sous-main des propositions. Demandez plutôt aux fils d’Abd-el-Kader. En attendant mieux, les Autrichiens font, avec les musulmans, d’excellens cochers du train et des tirailleurs indigènes qui portent un fort joli costume ; et tout le monde s’en trouve bien.

Maintenant, pensons à l’amertume d’un saint Paul ou d’un Chrysostome, s’ils avaient pu prévoir ces déviations de leurs premiers enseignemens : une religion établie sommairement, dans des vues étroites, sur un terrain mal préparé, jetant sur l’enfance des races un voile de tristesse ; étouffant leur originalité sans les purger d’un reste de paganisme ; leur offrant l’image d’un pouvoir divisé contre lui-même ; favorisant ainsi la duplicité des princes ; suscitant de redoutables hérésies, dont les dernières fournirent des armes à l’Islamisme et lui conférèrent droit de cité dans un coin de l’Europe. Les politiques auraient joint leurs lamentations à celles des pères de l’église ; ils eussent déploré le morcellement de la société chrétienne dans la péninsule, la différence des mœurs au moins égale à celle des rites, les nuances imperceptibles du dogme transformées en barrières de peuples, les groupes de musulmans semés un peu partout, mais particulièrement tenaces en Bosnie, et dressés comme autant d’écueils contre les espérances des Slaves chrétiens.

Mais pour concevoir en même temps la faiblesse politique de ces peuples et leur force de résistance, il faut considérer l’église orthodoxe dans ses œuvres vives, c’est-à-dire dans son culte et dans sa discipline.


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