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faubourg Saint-Sauveur, en face de Mouchy-le-Preux. Le prince de Ligne et le duc de Wurtemberg reliaient l’archiduc à M. le Prince, logé vers le sud, à Aigny, sur le Crinchon. Le camp des Lorrains se développait entre ce ruisseau et la Scarpe.

La tranchée fut ouverte dans la nuit du 14 au 15 juillet, et deux attaques dirigées contre un saillant au sud-est, la corne de Guiche[1], mauvais choix qui avait donné lieu à une vive discussion entre M. le Prince et Fuensaldaña. Dans toutes les phases du siège, à chaque incident, on vit éclater cet antagonisme de trois volontés qu’il fallait amener à concourir au même but, Condé, Lorraine, Espagne : — Condé, le plus passionné, mais le plus désintéressé ; car, une fois la terrible résolution prise, il s’est donné tout entier et sert de tout son esprit et de tout son courage la cause qu’il a embrassée ; — Lorraine : celui qu’on appelle le duc François a pris la place de son frère emprisonné ; il est là guettant le moment de mettre l’épée de Lorraine dans l’autre plateau de la balance, et, jusqu’à ce que l’heure sonne, décidé à ménager, à conserver intactes les troupes qu’il destine secrètement à un autre rôle ; silencieux, cherchant à dissimuler une pensée que tout le monde devine, et tâchant toujours de se soustraire sans bruit à l’exécution des ordres qui contrarient son plan. L’attachement à ce système donne la clé d’actes que nous aurons à signaler, explique l’attitude observée dans certaines circonstances par les généraux lorrains, et qu’en d’autres temps on ne pouvait attendre d’hommes de la valeur et du caractère de Ligniville ; — Espagne : c’est l’autorité supérieure, au moins la voix prépondérante, représentée par l’archiduc, homme de sens et d’honneur ; sa douceur ou sa docilité accepte la direction de Fuensaldaña, esprit étroit, absolu, avec de la force et de l’application, compliqué, tortueux, invariablement opposé à toutes les suggestions de Condé.


II. — LE SIEGE. — L’ARMÉE DE FRANCE.

Les premiers travaux d’approche étaient à peine ébauchés quand on aperçut force travailleurs qui remuaient la terre aux environs de Mouchy-le-Preux[2] (19 juillet). C’était Turenne, qui, laissant à Fabert un corps de siège et le soin de prendre Stenay, amenait au secours d’Arras une partie de l’armée dont il partageait le

  1. La corne de Guiche couvrait la courtine entre les bastions de Ronville et des Capucins, au sud-est, près du lit marécageux du Crinchon. Cet ouvrage a disparu depuis l’érection de la citadelle. Son nom fait supposer qu’il avait été construit pendant que le maréchal de Guiche (depuis duc de Gramont) commandait dans Arras.
  2. Deux lieues est d’Arras.