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argumens pour les justifier. Assurément le paganisme fut quelquefois mal attaqué, mais on peut dire qu’il n’a pas été mieux défendu.

Je crois qu’on peut résumer toute la discussion de saint Augustin en disant qu’il lui trouve surtout deux grands défauts : il l’accuse de ne pas se préoccuper de la morale et de ne pas avoir des croyances certaines. Au premier reproche, le paganisme aurait pu répondre qu’en effet il n’avait jamais prétendu tracer des règles de conduite et qu’il était vrai qu’on ne donnait pas d’enseignement moral dans ses temples, mais que ce n’était pas là le rôle essentiel des religions et qu’elles étaient faites pour autre chose. Elles naissent ordinairement de l’impuissance de l’homme à se satisfaire sur les problèmes de la vie, et elles ont pour mission principale de rendre compte des choses que la raison ne peut pas expliquer. Sans doute les explications fournies par le paganisme étaient souvent naïves et enfantines, mais elles s’adressaient à des peuples enfans et les contentaient. C’est plus tard, quand ces peuples eurent grandi, qu’elles leur parurent insuffisantes. C’est au même moment, c’est-à-dire lorsqu’on fut devenu plus éclairé et plus difficile, qu’on s’aperçut qu’elles n’étaient pas non plus très morales. Tout le monde sait aujourd’hui d’où leur est venu ce reproche et jusqu’à quel point elles le méritent. Les mille légendes par lesquelles l’imagination populaire avait essayé de rendre raison de la fécondité de la nature, de la naissance des fleurs et des fruits et de ce fourmillement d’êtres qui peuplent l’univers étaient charmantes ; mais comme elles reposent presque toujours sur quelque accouplement mystérieux des élémens et qu’elles expliquent la génération des choses par celle de l’espèce humaine, la poésie, qui ne respecte rien, les détachant des faits auxquels elles se rapportent et les développant pour elles-mêmes, les tourna de bonne heure en récits légers. C’est ainsi que ces mythes vénérables, qui avaient édifié les pères, devinrent pour les enfans des fables scandaleuses, ou, comme parle Horace, des histoires qui apprennent à mal faire, peccare docentes historiœ. C’est en ce sens qu’on peut accuser le paganisme non seulement de ne pas apprendre la morale, mais même d’enseigner l’immoralité. On voit que ce n’était pas tout à* fait sa faute, et que ses interprètes en étaient encore plus responsables que lui-même. Néanmoins saint Augustin l’en accuse très sévèrement, et avec d’autant plus d’assurance qu’il ne fait que répéter ce que d’illustres païens, Platon, Cicéron, Varron, Sénèque, avaient dit avant lui.

Quant au reproche qu’il lui adressait de n’avoir pas de croyances fixes et de doctrine certaine, le paganisme assurément le méritait, et il ne pouvait s’en défendre qu’en remontant à l’époque où ces