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d’habitans en 1789, a porté la population à plus de 50 millions, justifie l’orgueil des États-Unis. Mais ce que les délégués voient surtout, c’est l’image de leurs patries respectives reflétée dans ce cadre gigantesque, c’est l’avenir qui les attend, qui déjà, pour plusieurs d’entre elles, s’accuse et s’affirme. Ils comprennent que, si les États-Unis sont ce qu’ils sont, si, de si bas ils ont monté si haut, ils le doivent à leurs efforts, à leur persévérance et aussi à leur farouche indépendance. Ils ne l’ont ni aliénée ni enchaînée ; libres de toute alliance, dégagés de toute entrave, affranchis de tous liens, même de ceux de la gratitude, en tout et toujours ils n’ont consulté que leur intérêt, devenu l’intérêt de tous, l’intérêt national. Et pourquoi ce qui a fait la grandeur des États-Unis ne ferait-il pas aussi la leur ?

Qui, mieux que les délégués de la République Argentine, saurait lire dans le livre ouvert devant leurs yeux, en dégager les leçons qu’il contient ? Chez eux la population croît plus rapidement encore, en proportion, que ne l’a fait celle des États-Unis. Plus jeune, la République Argentine a, sur la grande république, davantage que celle-ci possédait : de bénéficier des conquêtes modernes, d’éviter les tâtonnemens coûteux, d’utiliser les procédés les plus récens. Elle débute à peine dans la construction des voies ferrées, et déjà elle en possède autant que l’Espagne, deux fois plus que la Belgique, trois fois plus que la Suisse. Même audace qu’aux États-Unis, même confiance dans l’avenir, audace et confiance servies par des instrumens supérieurs, par une expérience plus étendue, par des capitaux bien autrement importans. Sur un tremplin plus élastique, l’élan est plus vigoureux. Buenos-Ayres naissante rivalise avec New-York, possède plus de journaux quotidiens que New-York, des banques plus monumentales, des cercles plus somptueux. « C’est à tort que l’on désigne les Chiliens sous le nom de Yankees de l’Amérique du Sud à cause de leur caractère énergique et entreprenant. Le Chili est, à proprement parler, une colonie anglaise. L’influencer de l’Angleterre y domine, l’or anglais y alimente toutes les transactions. Les vrais Yankees de l’Amérique du Sud sont les Argentins. Ils n’ont pas seulement notre hardiesse et notre vigueur, ils ont encore avec nous des affinités commerciales et des sympathies politiques[1]. » Cette dernière assertion est contestable. En tout cas, ces affinités et ces sympathies ne se traduisent guère par des chiffres. La France achète annuellement pour 130 millions de produits argentins, l’Angleterre pour 85, les États-Unis pour 28 ; A elles seules, la France et l’Angleterre figurent

  1. Voyez le New-York Tribune de 2 avril 1889