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Aussi comme il frémit, le rude Assyrien !
Un soupir, par instans, soulève sa poitrine,
Et sa lèvre, où se joue une ombre purpurine,
Sourit à la clarté du songe aérien.

Loin, bien loin, par-delà les tremblantes étoiles,
Par-delà les flots verts des océans sans fond,
Il rêve de voguer dans cet azur profond
Dont la main d’une femme a déchiré les voiles ;

Il rêve… et sur sa chair il croit sentir encor,
Dans l’engourdissement des pesantes ivresses,
Voltiger les baisers et courir les caresses
De la Juive, — qu’encadre un triomphant décor.

Il la voit maintenant, debout, près de sa couche,
Telle qu’elle accourut des hauteurs du Liban :
Les cheveux dénoués, le front ceint du turban,
Belle d’une beauté surprenante et farouche ;

Son bras, pour la saisir, se tend avec effort ;
Un souffle parfumé vient effleurer sa face…
Enfin la vision se confond et s’efface,
Et d’un sommeil plus lourd, Holopherne s’endort.


II


Mais Judith reste là, l’épiant en silence,
Ecoutant s’affaiblir les élans de ce cœur ;
Elle est là, se courbant jusqu’au lit du vainqueur,
La main droite crispée au cuivre de sa lance.

Son regard inquiet, se voilant à demi,
S’arrête sur le front du soldat qui repose :
L’amour lui fait un nimbe ardent d’apothéose ;
Et surprise, Judith songe à son ennemi ;

Pendant quelques instans, morne, elle le contemple.
— Qu’il est tranquille et beau ! — Dans le calme du soir
Il dort ; — et sur lui flotte un parfum d’encensoir
Comme sur la victime au pronaos du temple.