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agitée le mois dernier devant le sénat, et ces jours passés encore elle a été réveillée par une sorte de communication officielle ou officieuse expliquant qu’il n’y avait eu, après tout, que trois cents prêtres frappés de suspension de traitemens depuis quelque temps. Peu importe le nombre : trois cents ou mille ou dix, c’est toujours la même chose ; la difficulté n’en est ni plus ni moins sérieuse. Que les prêtres soient tenus à la plus prudente réserve dans leur ministère sacerdotal et qu’ils doivent s’abstenir d’entrer dans les luttes politiques, que l’État se charge au besoin de les rappeler à leurs devoirs ecclésiastiques, ce n’est pas ce qui est contesté. Mais il reste toujours à savoir si un ministre a le droit de frapper sommairement, par voie administrative, sans débat contradictoire, sur quelque dénonciation obscure, de malheureux desservans, s’il peut, de son autorité propre, supprimer ou suspendre des traitemens inscrits au budget. M. le garde des sceaux croit pouvoir invoquer des précédens, même des exemples de la monarchie de juillet. Le fait est que ces précédens ne sont pas des précédens, que tout se borne à quelques sévérités exceptionnelles exercées pour des causes déterminées, pour absence irrégulière, par exemple, et presque aussitôt révoquées. On invoque aussi la jurisprudence du conseil d’état, et le conseil d’état est certes une assemblée des plus respectables ; mais enfin c’est un tribunal administratif. C’est l’administration se jugeant elle-même, s’absolvant elle-même, donnant une apparence de régularité à son bon plaisir. Si l’on cherche un droit précis, il n’est écrit nulle part, et il est réellement ridicule aujourd’hui, on en conviendra, d’évoquer l’ancien régime, de se servir du droit régalien d’autrefois sur les biens d’église pour mettre la main sur les modestes 900 francs de quelques pauvres curés de village ! C’est une puérilité ou une hypocrisie déguisant une médiocre manie de persécution.

Il faut bien que le gouvernement dispose d’une sanction pour faire respecter les lois, dit-on. Soit ; c’est un beau zèle, qui pourrait cependant se manifester avec plus d’impartialité, — et puisque le gouvernement veut faire respecter les lois, il n’a pas à aller bien loin ; il a auprès de lui, devant lui, un corps qui est le refuge de toutes les illégalités ; c’est le conseil municipal de Paris ! Ici on voit tout et on ne dit rien. Le conseil, pas plus tard que l’autre semaine, vote pour chacun de ses membres une rétribution de 6,000 francs, plus d’un demi-million sur le budget de la ville : c’est contre la loi, contre l’esprit même des institutions municipales, — et on ferme les yeux ! Le conseil bannit M. le préfet de la Seine de l’Hôtel de Ville, qui est sa résidence légale, — et on le tolère ; on ne songe pas cette fois à faire respecter les arrêts du conseil d’état ! Il y a mieux : l’autre jour, pour le 1er janvier, M. le président du conseil municipal, confondant tous les rôles, a daigné faire