Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/631

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ailleurs, à la Conciergerie, par exemple ; assez tolérant au commencement de la Terreur, plus dur, plus inquisitorial à mesure que la domination de la Commune s’accentue, que les assassinats juridiques se multiplient, que les arrestations deviennent plus absurdes. La loi du 22 prairial était un merveilleux instrument de tyrannie, tel qu’un Tibère eût pu l’envier à Robespierre et à Saint-Just, tel qu’il permet d’envoyer à l’abattoir les Dantonistes eux-mêmes et les Hébertistes. On entre en prison sous les prétextes les plus frivoles : parce qu’on est riche ou noble (un nom alors devient un forfait), parce qu’on a fait partie de la Constituante, parce qu’on est suspecté d’être suspect d’incivisme, ou qu’on déplaît à quelque puissant du jour. Un pauvre homme et sa femme, qui avaient un théâtre de marionnettes aux Champs-Elysées, sont enfermés, puis guillotinés pour avoir exposé une figure en cire de Charlotte Corday ; on a trouvé chez un autre trente-six œufs ; un troisième a fait venir de la campagne un petit cochon et l’a tué : confisqués les œufs, le cochon, emprisonnés les accapareurs. Un domestique a porté une lettre écrite par un suspect ; le voilà suspect lui-même. Voici une femme incarcérée comme mère d’émigré, et elle n’a jamais été mère. On finira par arrêter un citoyen à cause de sa bonne mine : pendant la Terreur, une figure réjouie insulte à la misère publique. Telles arrestations, tels jugemens : le jeune de Maillé, âgé de dix-sept ans, va jouer à la main chaude avec Sanson pour s’être plaint qu’on lui a servi un hareng rempli de vers ; l’inspecteur d’une maison d’arrêt interdit les moindres instrumens en acier, jusqu’aux grandes épingles des femmes, jurant qu’il fera éternuer dans le sac celles auxquelles il en trouvera. La mort pour une épingle ou pour des rubans ! Arrêté par la foule qui menace de lui faire un mauvais parti, parce qu’il ne porte pas la cocarde, un citoyen ne s’en tire que par son sang-froid : « Parbleu oui ! s’écrie-t-il en retournant son chapeau avec un étonnement feint, je l’ai oubliée à mon bonnet de nuit, car je couche avec elle. »

Conduit à la Conciergerie à travers une populace en délire qui l’a poursuivi de ses huées en lui jetant des ordures, le malheureux subit tout d’abord dans le guichet[1] l’examen du concierge, des porte-clés : ils allument le miston, le regardent sous le nez, afin qu’il soit bien connu et ne puisse se donner pour étranger. A gauche du guichet, le greffe, divisé en deux parties par une cloison à jour :

  1. On appelait ainsi la première pièce d’entrée. Le même nom était donné à une petite porte haute d’environ 3 pieds ½ pratiquée dans une porte plus grande. La prison de la Conciergerie fait partie du Palais de justice ; les prévenus allaient directement de leur cachot à la salle du tribunal révolutionnaire qui est aujourd’hui celle de la cour de cassation.