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il l’avait prouvé à Custozza, où il avait été blessé à la tête de sa brigade, — intelligent, libéral, fidèle à la constitution qu’il avait acceptée ; il avait de plus auprès de lui une jeune reine gracieuse, empressée à plaire et à faire le bien. C’était sans doute le mieux intentionné des rois ; mais il était étranger ! Il avait contre lui les carlistes qui relevaient leur drapeau, les républicains qui conspiraient pour la république, les conservateurs fidèles au jeune Alphonse, le sentiment national. Il se voyait réduit à vivre seul, délaissé par l’aristocratie espagnole qui n’allait jamais au palais, sans appui dans le peuple et dans l’armée, médiocrement soutenu par ses partisans, occupés à se disputer le pouvoir. Un jour vint où les attentais commençaient contre lui, et bien qu’il eût bravement tenu tête aux meurtriers qui venaient l’assaillir dans une de ses promenades, il ne tardait pas à en finir par une grande résolution. Aux premiers jours de février 1873 il donnait sa démission aux Cortès pour prendre le chemin du Portugal, le seul qui lui fût encore ouvert. Son départ même fut une scène aussi émouvante que caractéristique. Le cortège de la dernière heure était peu nombreux. Le roi Amédée faisait son voyage salué avec un respect silencieux, mais seul, abandonné de tous, trouvant à peine sur sa route quelque secours pour la reine qui venait d’accoucher et qui bravait tous les périls pour se dérober à une couronne faite d’épines. C’est l’histoire d’une royauté étrangère au-delà des Pyrénées !

Depuis, le roi Amédée, réveillé de son rêve et rentré dans son pays, était redevenu ce qu’il était avant, prince italien, duc d’Aoste. Il avait visiblement gardé de l’épreuve qu’il avait subie une tristesse découragée qu’était venue bientôt aggraver la mort de la jeune femme qui avait porté avec lui la couronne. Il remplissait les devoirs qui lui étaient imposés tantôt comme amiral de la flotte italienne, tantôt comme inspecteur général de la cavalerie, quelquefois comme ambassadeur extraordinaire pour les funérailles des rois et des empereurs. Il évitait autant qu’il le pouvait le bruit et l’ostentation. Il paraissait peu à la cour, encore moins au Sénat, dont il était membre comme prince du sang. Il vivait le plus souvent à Turin, la ville préférée de la maison de Savoie. Si depuis peu il avait retrouvé une joie intime par un second mariage avec la fille de sa sœur, de la princesse Clotilde, la princesse Laetitia Bonaparte, il n’a pas joui longtemps de ce dernier bonheur, — il ne semblait pas moins avoir toujours le sentiment d’une destinée contrariée. Il meurt à quarante-cinq ans, poursuivi jusqu’au bout d’une mauvaise étoile. Avec ce prince, c’est une figure étrange qui disparaît. On ne peut pas dire que le duc d’Aoste laisse un vide sensible dans la politique, puisqu’il n’y avait aucun rôle ; il était cependant aimé et écouté de son frère, le roi Humbert, et peut-être aurait-il pu, dans des momens difficiles, avoir une influence heureuse. Cette mort a ravivé des souvenirs qui ont trouvé de l’écho en France,