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en particulier de Maurepas, celui des ministres qui lui tenait la plus fidèle compagnie, surtout dans la haine contre d’Argenson. Il ne manqua pourtant pas, même à la cour, d’observateurs perspicaces pour deviner qu’il revenait au fond plus glorieux que satisfait et les mains à peu près vides. Luynes l’insinue avec ces sous-entendus discrets qui sont le trait piquant de son journal, et il va même jusqu’à faire supposer que l’envoyé de Louis XV, en sus des faveurs qu’il avait reçues, s’était laissé payer dans une autre monnaie encore que des paroles et des honneurs. — « On attend incessamment, dit-il, M. le maréchal de Noailles : ses amis disent qu’il a parfaitement réussi dans sa négociation ; il est certain qu’il a été fort bien reçu à la cour de Madrid… On prétend (mais on ne le sait jusqu’ici que par des lettres particulières) que le roi d’Espagne lui a accordé le paiement de ce qui lui était dû d’appointemens en qualité de capitaine-général. Ce titre fut donné à M. le maréchal de Noailles en 1711, ce qui ferait trente-cinq années,.. ce serait un objet considérable. Comme le public ignore quelles étaient les instructions de M. le maréchal de Noailles et que, même lors de son départ, on jugea qu’il était bien tard, par rapport aux affaires d’Italie, leur situation ne doit faire porter aucun jugement sur la négociation : cette situation est tout au plus mal qu’elle puisse être[1]. »

Au demeurant, au moment où Noailles reprenait le chemin de Versailles, il devenait assez indifférent de savoir quelle nature et quelle mesure de succès il avait obtenues, car les plans de pacification générale étaient de nouveau évanouis en fumée, et les opérations militaires allaient reprendre. — « La paix s’éloigne, écrivait d’Argenson à Voltaire, comme le chien de Jean de Nivelle. » C’est que les propositions hollandaises, dont l’idée seule, on vient de le voir, était si mal vue à Madrid, ne recevaient ni à Vienne, ni à Londres, un accueil plus encourageant. Marie-Thérèse surtout était inabordable, elle gardait sur le cœur le ressentiment de l’humiliation que la France lui avait fait subir à Dresde, en rejetant des propositions presque suppliantes, arrachées par un extrême péril. La singulière prédilection dont le ministère français avait fait preuve ce jour-là en faveur de Frédéric l’avait surprise autant qu’exaspérée. A la première ouverture qui lui fut faite par une voie détournée, son ministre Uhffeld eut ordre de répondre par cette question railleuse : « La France est-elle prête cette fois à tomber avec nous sur la Prusse ? Tant que nous n’aurons pas cette garantie, il n’y aura rien à faire avec elle. Nous ne pouvons traiter avec des gens qui veulent faire du roi de Prusse le dictateur de

  1. Journal de Luynes, t VII, p. 331.