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ce retour de l’esprit européen vers les antiques doctrines de l’Orient comme à la source vénérable des vérités transcendantes ? Tous les grands orientalistes ont eu l’instinct de l’unité intérieure des religions. Et cette unité primordiale n’est-elle pas la promesse d’une synthèse possible de la science devenue religieuse et de la religion devenue scientifique ? Le christianisme contient la fleur même des traditions religieuses par la doctrine et l’exemple de son fondateur, qui prouva que l’homme possède le divin en lui-même et peut le développer. Et ce christianisme transformé, élargi, mis en communication vivante avec les autres traditions sacrées de l’humanité, n’est-il pas destiné par la logique du développement historique à devenir le centre équilibrant de cette religion diversifiée dans ses manifestations cultuelles, mais une dans son fond ? On s’est beaucoup moqué de ces kabbalistes du XVIe siècle qui prirent le nom de Rosecroix. Ils avaient choisi pour symbole de leur ordre une croix autour de laquelle rayonnait une rose flamboyante dont les cinq pétales représentaient la force du Verbe divin manifesté dans le monde et les dix rayons ses puissances multiples. Pour qui comprend le langage des symboles, ces prétendus rêveurs avaient une vue claire des besoins religieux de l’humanité moderne. Oui, il faut faire fleurir la rose sur la croix. Si la croix signifie la sagesse et la force par la conscience de l’amour, la rose signifie la vie par l’épanouissement de la science, de la justice et de la beauté. Et voilà ce que les hommes exigeront désormais de leurs guides. Longtemps ils se sont contentés des grandes affirmations de la foi et de la promesse du ciel. Aujourd’hui, ils veulent des preuves et des réalisations terrestres. Ils ne reconnaîtront pour maîtres que ceux qui sauront les leur donner.

Saluant ainsi la croix blanche venue du fond de l’Orient et du fond des siècles sur ce sommet des Alpes, j’admirais la persistance des symboles dans l’histoire et la puissance de leur langage secret. Cette croix, bien plus ancienne que le christianisme, ne signifiait-elle pas déjà le feu divin et la vie universelle pour les antiques Aryens ? N’est-ce pas elle aussi qu’on retrouve sur les monumens sacrés de l’Egypte comme signe de l’initiation suprême et comme emblème de la victoire de l’esprit sur la matière ? Par son sacrifice sublime, Jésus lui a donné un nouveau sens moral et social, celui de l’amour et de la fraternité universelle. Mais, est-ce une raison pour oublier le sens intellectuel, scientifique et métaphysique de ce signe immémorial ? N’est-ce pas plutôt dans la réunion de toutes les hautes idées qu’il a représentées dans le cours des âges que résident sa force et son universalité ? Et je me disais : Puisse l’antique et toujours nouvelle vérité de l’esprit vainqueur de la