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moment où il parut, on entendit un coup de tonnerre, puis l’acteur qui était en scène entonna ce détestable couplet de facture :


Est-ce là notre général
Que ramène Bellone ?
Eh ! oui, c’est le grand maréchal.
C’est lui-même en personne,
Non ; je le vois à ses regards,
C’est le dieu de la guerre,
Et Jupiter annonce Mars
Par un coup de tonnerre.


« Cet impromptu, ajoute Favart, fut transcrit par tout le monde avec empressement. On le porta au maréchal, qui était à dîner avec les officiers généraux. On m’envoya chercher. Un plaisant demanda ce qu’un poète comme moi venait faire à l’armée. Je répondis que je venais chanter les exploits de nos généraux et chansonner les ennemis… Le comte de Saxe, qui connaissait le caractère de notre nation, savait qu’un couplet de chanson, une plaisanterie faisait plus d’effet sur l’âme ardente des Français que la plus belle harangue. Il m’avait intitulé le chansonnier de l’armée, chargé d’en célébrer les événemens les plus intéressans[1]. »

Peu de jours après (quel contraste ! ), une autre cérémonie attestait aussi, par un témoignage d’un genre tout différent, la prise de possession de la capitale de la Flandre autrichienne par les armes victorieuses de la France. C’était le roi qui arrivait et qui, suivant l’usage observé, nous dit Luynes, dans toutes les villes conquises, mettait pied à terre devant la cathédrale, où un Te Deum devait être chanté. L’archevêque, le cardinal d’Alsace appartenant à l’ancienne famille d’Henin, dut attendre et haranguer le souverain vainqueur sur la porte de son église. Son langage (dans cette occasion si délicate, pour un sujet resté fidèle de Marie-Thérèse), fut plein de tact et de dignité chrétienne. — « Sire, dit-il, le dieu des armées est aussi le père des miséricordes : tandis que Votre Majesté lui rend des actions de grâces pour ses victoires, nous lui demandons de les faire cesser heureusement par une paix prompte et durable. Le sang de Jésus-Christ est le seul qui coule sur nos autels ; tout autre nous alarme ; un prince de l’église peut sans doute avouer cette crainte devant un roi très chrétien. C’est dans ces sentimens que nous allons entamer le Te Deum que Votre Majesté nous ordonne de chanter. »

Dès le lendemain, il fallait ouvrir la campagne sur le terrain ingrat et limité où on avait ordre de la renfermer. Maurice fit de

  1. Mémoires de Favart, t. I, p. 4.