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sérieux. Si c’était l’Académie des sciences, encore patience, il y a des objets qui peuvent convenir à toutes les professions : mais pour s’associer à des gens qui ne savent que jouer des mots et changer l’ancienne orthographe, je vous avoue que je serais fâché d’y voir mon cher comte Maurice. Il m’ordonne de lui dire mon sentiment et je le fais avec franchise et la sincérité que j’aurai toujours pour ce qui l’intéresse. C’est après la demain votre fête, ajoutait-il, elle nous est commune (Maurice était aussi son nom de baptême) ; nous ne pourrons pas boire ensemble, j’en suis inconsolable : j’irais volontiers vous trouver à Tongres pour dîner avec vous et voir un peu la contenance de ces messieurs[1]. »

Pendant que ces correspondances sur des sujets si divers vont et viennent de Tongres à Versailles, Namur s’est rendu et le château, serré de près, ne va pas tarder à capituler. Maurice alors en vient ouvertement à son fait, comme s’il se sentait le droit de demander sa récompense pour avoir si bien et si heureusement obéi. « Eh bien ! mon maître, êtes-vous content de votre garçon ? Je vous jure que ce sera la chose du monde qui me flattera le plus. On m’écrit que vous ne voulez pas que notre petite princesse épouse M. le dauphin. Si je pouvais avoir mérité par mon attachement quelque chose auprès de vous, je me jetterais à vos genoux, mon bon maître, pour vous prier de ne nous être pas contraire. Elle est jolie et vous caressera avec des petites façons charmantes : je l’ai vue telle comme enfant, et on me dit que cela était devenu dangereux depuis. Vous aurez un dauphin avant la révolution d’une année, je vous le promets et vous savez que quelquefois je suis inspiré. Je ne vous écrirais pas avec cette chaleur, si je n’étais pas persuadé que vous et toute la France vous serez très contens, surtout M. le Dauphin, qui trouvera cela tout à fait agréable ; car elle est charmante et enjouée. Faites donc, mon maître, qu’on aille en avant dans cette affaire, du moins ne nous gênez pas et soyez persuadé que votre disciple vous en aura une reconnaissance éternelle[2]. »

  1. Maurice à Noailles, 13 septembre, Noailles à Maurice, 18 et 20 septembre 1746. — L’original de ces lettres, déjà publiées en partie dans les mémoires de Noailles, t. IV, p. 10 et 11, est aux mains de M. le duc de Mouchy. Le maréchal de Noailles (dit l’abbé Millot qui tint la plume pour rédiger les mémoires) paraît oublier ici ce que notre littérature doit à l’Académie.
  2. Maurice à Noailles, septembre 1746. Cette charmante lettre fait partie de la collection de Mouchy, elle y est inscrite sous la date du 18 octobre : ce qui la ferait postérieure de huit jours à la bataille de Raucoux. Cette date m’a paru impossible à maintenir. Le 18 octobre, le mariage saxon était déjà décidé à Versailles, et Maurice, bien informé par les petits cabinets, ne pouvait l’ignorer. De plus, dès le 27 octobre, écrivant à son frère, il se vante d’avoir eu en son particulier une conversion à faire qui est le Noailles et d’y avoir employé des argumens qui ne figurent pas dans la lettre que je viens de citer. Il y en a donc eu au moins encore une autre après celle-ci. Or entre le 18 et le 27 octobre, de Tongres à Versailles, il y avait à peine le temps d’avoir une réponse. (Vitzthum.)