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huis-clos ; dans la moindre commune, les délibérations du conseil municipal sont affichées ; à la ville, elles sont publiées et commentées par les journaux de l’endroit ; le conseil général donne au public le compte-rendu des siennes. — Ainsi, derrière les pouvoirs élus et pour peser avec eux dans le même plateau de la balance, voici un nouveau pouvoir, l’opinion, telle qu’elle peut se produire dans un pays nivelé par la centralisation égalitaire, dans une foule ondoyante ou stagnante d’individus désagrégés, à qui manque tout centre de ralliement spontané et qui, faute de conducteurs naturels, ne savent que se pousser, s’entre-choquer ou rester immobiles, chacun selon ses impressions personnelles, aveuglément et au hasard : c’est l’opinion inconsidérée, imprévoyante, inconséquente, superficielle, acquise à la volée, fondée sur des bruits vagues, sur quatre ou cinq minutes d’attention par semaine et principalement sur de grands mots mal compris, sur deux ou trois phrases emphatiques et banales dont le sens échappe aux auditeurs, mais dont le son, à force d’être répété, devient pour leurs oreilles un signal reconnu, un coup de trompe ou de sifflet qui rassemble, arrête ou entraîne le troupeau. Ce troupeau, on ne peut pas le heurter en face ; il fonce en avant par masses trop compactes et trop lourdement. — Au contraire, le préfet est tenu de l’amadouer, de lui céder, de le satisfaire ; car, sous le régime du suffrage universel, ce même troupeau, outre les représentans locaux, nomme les pouvoirs du centre, les députés, le gouvernement ; et, si, de Paris, le gouvernement expédie un préfet en province, c’est à la façon d’une grande maison de commerce, pour y maintenir et accroître sa clientèle, pour y être l’entreteneur résident de son crédit et son commis-voyageur en permanence, en d’autres termes, son agent électoral, plus précisément encore, l’entrepreneur en chef des prochaines élections pour le parti dominant et pour les ministres en titre, commissionné et appointé par eux, et stimulé incessamment, d’en haut et d’en bas, pour leur conserver les suffrages acquis et leur gagner des suffrages nouveaux. — Sans doute, il doit prendre à cœur les intérêts de l’État, du département et des communes ; mais, d’abord et avant tout, il est un racoleur de voix. En cette qualité et sur cet article, il traite avec le conseil général et la commission permanente, avec les conseils municipaux et les maires, avec les électeurs influens, mais surtout avec le petit comité actif, qui, dans chaque commune, soutient la politique régnante et offre son zèle au gouvernement.

Donnant, donnant. A ces auxiliaires indispensables, il faut accorder presque tout ce qu’ils demandent, et ils demandent beaucoup. Par instinct, doctrine et tradition, les Jacobins sont exigeans,