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paraître habiles et diserts. « Au contraire, ajoute-t-il, les chrétiens s’attachent aux idées et non pas aux mots. » On ne s’en aperçoit pas toujours en le lisant. Il est, lui aussi, fort occupé du style ; il aime les mots retentissans et les phrases bien balancées ; il enfle la voix et déclame volontiers. Il faut donc nous garder de prendre tout ce qu’il dit à la lettre, et croire que chez lui, comme chez tous les déclamateurs, l’expression dépasse souvent la pensée.

Sa vie nous est peu connue. Il avait épousé la fille d’un païen et converti sa fiancée. Après quelques années de mariage, ils résolurent, comme on le faisait beaucoup alors, d’embrasser la vie ascétique et de n’avoir plus entre eux que des rapports fraternels. Cette conduite blessa les parens de la jeune femme, quoique à leur tour ils fussent devenus chrétiens, et ils restèrent sept ans sans la revoir. Salvien leur écrivit pour les désarmer, et nous avons conservé sa lettre. Ampère trouve que « le ton en est extrêmement affectueux et pénitent, » et M. Ebert, « qu’elle est écrite dans un style simple et pur. » Ce n’est pas l’effet qu’elle m’a produit. Elle me paraît manquer précisément de simplicité et d’émotion véritable. J’y trouve des citations pédantes, qui sentent l’érudit : il y est question des Sabines et de l’orateur Servius Galba, qui prit son petit-fils dans ses bras pour désarmer ses juges. Lui aussi essaie d’apitoyer ses parens en faisant parler sa femme et sa fille, la petite Ruspiciola, et il croit devoir leur prêter des termes caressans et enfantins (ego, vestra gracula, vestra domnula). Ces tendresses maniérées ne lui convenaient guère : c’était un génie vigoureux et dur, qui était fait pour d’autres ouvrages. L’énergie de son talent allait se trouver plus à l’aise dans une œuvre de polémique qui lui fut inspirée par les circonstances.

Le traité sur le Gouvernement de Dieu (De Gubernutione Dei), en sept livres, fut composé dans le midi de la Gaule, où Salvien s’était retiré, peut-être pour fuir l’invasion, et où il remplissait des fonctions sacerdotales. On pense que « le saint et éloquent prêtre de Marseille, » comme l’appelle Bossuet, a dû l’écrire dans les environs de l’année 450.

À ce moment les amis de l’empire ne pouvaient plus se faire d’illusion. La Gaule, l’Espagne, l’Afrique, étaient presque entièrement au pouvoir des barbares. Il ne restait aux Romains, dans tout l’Occident, que quelques provinces isolées, qui ne pouvaient plus résister longtemps. Salvien n’hésite pas à reconnaître « que l’empire est mort ou qu’il va mourir. « Il voit la situation comme elle est, et n’en dissimule pas la gravité. « Où sont, dit-il, les richesses et la puissance de Rome ? Nous étions autrefois le plus fort des peuples ; nous sommes devenus le plus faible ! Tout le monde