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l’Afrique, toutes les provinces de l’Occident, loin de hâter la ruine de l’empire et d’y applaudir, n’ont accepté cette grande épreuve qu’avec tristesse ; seulement, quand elles ont vu que le malheur était inévitable, elles s’y sont résignées. Le livre de Salvien, par le mal qu’il disait des anciens maîtres et les éloges qu’il donnait aux nouveaux-venus, a eu au moins l’avantage de leur rendre la résignation plus facile.


IV

L’étude que nous venons de faire des derniers écrits de saint Augustin, de l’histoire d’Orose et du traité de Salvien nous permet de juger quelle fut l’attitude de l’Église pendant les dernières luttes entre les Romains et les barbares. Il en ressort, à ce qu’il me semble, qu’elle ne s’est pas jetée du premier coup et sans quelque peine dans le parti des vainqueurs. Ses préférences naturelles allaient de l’autre côté. Je crois bien qu’après la conversion de Constantin et dans la première joie de sa victoire, elle fut tentée d’unir tout à fait son sort à celui de l’empire. Par principe elle prêche le respect de l’autorité, par goût elle aime les puissances ; il devait donc lui être agréable d’accepter l’alliance que les princes semblaient lui proposer. Constantin, Gratien, Théodose, Honorius se firent de si bonne grâce ses défenseurs, ils lui rendirent tant de services, qu’elle s’accoutuma peu à peu à compter sur l’aide du pouvoir. Après un siècle écoulé dans cette entente réciproque, l’habitude en était prise, l’alliance semblait définitive, et il est vraisemblable que même les plus grands évêques de ce temps, les plus convaincus de la fragilité des choses humaines et de l’avenir réservé au christianisme, avaient quelque peine à se le figurer vivant sous une autre domination que celle des empereurs romains. Mais l’Église ne se livre jamais entièrement. Son union avec l’empire, quelque intime qu’elle fût, n’allait pas jusqu’à le suivre dans sa chute. Elle savait qu’elle devait lui survivre, et quel rôle lui était réservé dans ce désastre, qu’elle aurait voulu conjurer. « Au milieu des agitations du monde, disait saint Ambroise, l’Église reste immobile ; les flots s’agitent sans l’ébranler. Pendant qu’autour d’elle tout retentit d’un fracas horrible, elle offre à tous les naufragés un port tranquille où ils trouveront le salut. » Les choses se sont passées exactement comme le prédisait saint Ambroise.

On a vu qu’elle a mis une trentaine d’années à se résoudre à la chute de l’empire. Trente ans, ce n’est guère ; mais les événemens étaient préparés depuis longtemps : ils ont marché très vite. D’ailleurs, dans l’évolution qu’elle a faite, ce n’est pas elle qui a donné l’impulsion ; elle l’a suivie. L’exemple lui est venu des divers