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d’autant plus faciles à consulter que la tradition des vieilles histoires s’y conservait dans la mémoire des prêtres et des sacristains, toujours prêts à expliquer les monumens dont ils avaient la garde. — Pour l’histoire toute récente des guerres médiques, outre une foule de souvenirs conservés aussi dans les temples, il y avait les archives des villes, les textes de loi et de décrets, les monumens commémoratifs ; il y avait surtout la tradition orale, encore toute vivante, et qui ne demandait qu’à s’épancher en longs récits. — De même pour les informations géographiques ; en dehors de ce qu’Hérodote avait vu par lui-même, en dehors aussi des écrits d’Hécatée ou de quelques autres, c’était surtout aux voyageurs, aux guides des caravanes, aux marins revenus de quelque navigation, aux marchands, à la population vagabonde des grands ports de la Grèce et de la Phénicie, que l’historien pouvait demander des renseignemens.

On voit la variété de ces sources d’information, et en même temps leur caractère commun : elles ont presque toutes, à des degrés divers, quelque chose de populaire, d’incomplet, de hasardeux. Ce qui doit sortir de là, c’est une masse de dires non vérifiés, de faits indifféremment puérils ou considérables, de choses tour à tour minutieusement exactes ou naïvement merveilleuses, de souvenirs précis et de légendes. Hérodote a patiemment recueilli toutes sortes de matériaux. L’abondance des informations, chez lui, est extrême : quand on y réfléchit, on est émerveillé de la quantité de faits et de noms propres qui se pressent dans les neuf livres de son histoire, à une date surtout où les écrits historiques sont rares et où chaque détail représente une somme considérable de recherches. Mais il reste à se demander quelles qualités générales d’esprit et quels procédés techniques il a mis en œuvre dans le triage si difficile de cette matière confuse et d’inégale valeur.

On peut dire qu’il a deviné très heureusement les règles qu’un bon sens naturel aiguisé pouvait suggérer à un Grec du Ve siècle, imaginatif et croyant : ce qui lui manque, c’est, d’un côté, la connaissance de certaines sciences spéciales qui n’étaient pas encore constituées de son temps, et, d’autre part, cet élément supérieur de la critique qui consiste moins dans l’application de certaines règles particulières que dans une sorte de philosophie générale et dans la culture scientifique de l’esprit. Il est avisé, prudent, fin ; il n’est ni savant de métier ni philosophe. Voilà, en deux mots, l’étendue et la limite de l’esprit critique chez Hérodote.

Par exemple, de même qu’il met de la différence entre ce qu’il a vu lui-même et ce qu’on lui a rapporté, de même il distingue fort bien entre un bruit vague et l’affirmation d’un témoin oculaire. S’il rapporte un fait nouveau ou surprenant, il cite ses autorités :