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constamment soumis aux ordres du roi. » Le sagace Pozzo avait reconnu de bonne heure dans le futur Charles X le mauvais génie de la restauration ; il avait lu sur ce front fuyant l’arrêt d’une implacable destinée, et il avait fait partager sa conviction au comte de Nesselrode, qui lui écrivait le 7 février 1816 : « Vraiment cette France est inépuisable en élémens de bonheur. Il ne lui faudrait qu’un autre Monsieur, faites-lui donc comprendre une bonne fois que les puissances ne sont pas là pour soutenir ses sottises et pour le faire monter un jour sur le trône avec un système de réaction aussi insensé. »

Pozzo se plaignait par instans que son métier de conseiller s’évertuant à parler à des sourds « le fatiguait à mort, » que ses forces s’épuisaient, qu’il se sentait talonné par la vieillesse. Mais il était de ces hommes éternellement jeunes, pour qui le repos est la pire des fatigues. « Je suis à me tourner de tous côtés comme un chien piqué par les mouches. Il faut faire ma cour à Wellington, moi qui suis le moins courtisan des hommes, représenter au roi qu’il a besoin de fermeté, dire à son ministère qu’il ne convient pas de se décourager et de s’irriter, à Monsieur qu’il se perd avec les siens s’il ne change pas de système, aux Jacobins qu’ils sont des coquins, et aux voltigeurs qu’ils sont des fous… Malgré ce carillon, je suis décidé à faire entendre raison, et je ne désespère pas du succès. Vous savez que je ne donne jamais pour perdues les causes que j’aime, et je me garderai de commencer par celle qui les comprend toutes. » Il écrivait un mois plus tard : « Si un pavillon des Tuileries laissait l’autre exercer son autorité, tout serait dans l’ordre à un point qui surpasserait mes espérances ; je ne veux pas me décourager parce que ce sentiment m’humilie. On était flatté jadis de se casser la tête contre une colonne de bronze ; aujourd’hui, c’est contre des matelas ; pas l’honneur d’une blessure ! » Sa joie fut vive quand il apprit qu’après de longues hésitations, Louis XVIII s’était enfin résolu à dissoudre la chambre introuvable ; de ce jour il reprit confiance dans l’avenir de la légitimité. Mais s’il considérait l’espérance comme la plus précieuse des vertus théologales, il n’avait garde de s’imaginer qu’il suffisait de dissoudre une chambre pour guérir de tous ses maux un pays où la raison publique était tenue en échec par les fureurs de l’esprit de parti, une nation qui, approuvant les modérés, se laissait faire la loi par les intempérans.

Quoiqu’il ait souvent plaidé leur cause, Pozzo n’avait personnellement que peu de goût pour les Bourbons. Il eut, pendant les Cent-Jours, l’occasion de les défendre contre les inconstances et les rancunes de l’empereur Alexandre, que son caractère passionné et son imagination mobile engageaient quelquefois dans des voies étranges. Alexandre aurait voulu, comme le prouve un mémoire envoyé par le cabinet russe le 3 mai 1815, que Louis XVIII abdiquât temporairement et reconnût à la France