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242 REVUE DES DEUX MONDES.

d’ailleuis, par nous tous, qui sommes de son intimité, car nous parlons d’elle assez souvent. C’est une fort jolie femme de vingt-huit ans, pleine d’intelligence, qui ne veut pas se remarier, carello a été fort malheureuse une première fois. Elle a fait de son logis un rendez-vous d’hommes agréables. On n’y trouve pas trop de messieurs de cercle ou du monde. 11 y en a juste ce qu’il faut pour l’efïet. Elle sera enchantée que je t’amène à elle. Vaincu, xMarioUe répondit :

— Soit ! un de ces jours.

Dès le début de la semaine suivante, le musicien entrait chez lui et demandait :

— Es-tu libre demain ?

— Mais... oui.

— Bien. Je t’emmène dhier chez M™® de Burne. Elle m’a chargé de t’inviter. Voici un mot d’elle, d’ailleurs. Après avoir réfléchi quelques secondes encore, pour la forme, Mariolle répondit :

— C’est entendu !

Age d’environ trente-sept ans, André Maiiolle, célibataire et sans profession, assez riche pour vivre à sa guise, voyager et s’offrir même une jolie collection de tableaux modernes et de bibelots anciens, passait pour un garçon d’esprit, un peu fantas(}ue, un peu sauvage, un peu capricieux, un peu dédaigneux, qui posait au solitaire plutôt par orgueil que par timidité. Très bien doué, très fin, mais indolent, apte à tout comprendre et peut-être à faire bien beaucoup de choses, il s’était contenté de jouir de l’existence en spectateur, ou plutôt en amateur. Pauvre, il lût derv^cnu sans aucun doute un homme remarquable ou célèbre ; né bien rente, il s’adressait l’éternel reproche de n’avoir pas su être quelqu’un. Il avait fait, il est vr ;ii, des tentatives diverses, mais trop molles, vers les arts : une vers la littérature en publiant des récits de voyage agréables, mouvementés et de style soigné, une vers la musique en jiratiquant le violon, où il avait acquis, môme parmi les exécutans de profession, un renom respecté d’amateur, et une enfin vers la sculpture, cet art où l’adresse originale, où le don d’ébaucher des figures hardies et trompeus-es remplacent pour les yeux ignorans le savoir et l’étude. Sa statuette en terre, Masseur tunisien, avait même obtenu quelque succès au Salon do l’année précédente. Remarquable cavalier, c’était aussi, disait-on, un excellent escrimeur, bien qu’il ne tirât jamais en public, obéissant en cela, peut-être, à la même inquiétude qui le faisait se dérober aux milieux mondains où des rivalités sérieuses étaient à craindre. Mais ses amis l’appréciaient et le vantaient avec ensemble, peut-être parce qu’il leur portait peu d’ombrage. On le disait en tout