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pied. Huet était un homme d’un vrai mérite, d’une érudition très solide et très étendue pour son temps. La longue liste de ses ouvrages comprend à la fois une traduction des Amours de Daphnis et Chloé (écrite à dix-huit ans, ajoute son biographe pour l’excuser), une Demonstratio evangelica en deux volumes, une Histoire du commerce et de la navigation chez les Anciens et une Dissertation sur l’emplacement du paradis terrestre. L’étude avait toujours été sa passion. « A peine avais-je quitté la mamelle, dit-il dans les Huetiana, que je portais envie à tous ceux que je voyais lire. » Cette passion ne fit que s’accroître avec les années, et, comme aux paysans de son diocèse d’Avranches qui venaient lui demander audience son secrétaire répondait souvent que monseigneur ne pouvait les recevoir parce qu’il étudiait, ceux-ci disaient dans leur naïveté : « Le roi devrait bien nous envoyer un évêque qui ait fini ses études. » Mais il n’entra que tard dans les ordres, à l’âge de quarante-six ans, et comme il était né à peu près vers la même époque que Mme de La Fayette, une relation assez étroite avait eu le temps de s’établir entre eux avant qu’il ne quittât Paris pour aller prendre possession de l’abbaye d’Aunay, son premier bénéfice. Cette relation fut tout intellectuelle, et il ne semble pas que l’amitié y ait tenu grande place. Dans les lettres que Mme de La Fayette adresse à Huet, elle ne fait guère que l’entretenir de ses lectures et de ses études, en s’excusant le plus souvent de la paresse où elle se baigne :

« Si vous saviez comme mon latin va mal, lui écrit-elle un jour, vous ne seriez pas si osé que de me parler d’hébreu. Je n’étudie point et par conséquent je n’apprends rien. Les trois premiers mois que j’appris me firent aussi savante que je le suis présentement. Je prends néanmoins la liberté de lire Virgile, tout indigne que j’en suis ; mais si vous, monsieur son traducteur, vous le rendez aussi peureux et aussi dévot qu’il l’est, je crois qu’il faut l’envoyer cacher plutôt que de le mener faire la guerre en Italie, et l’envoyer à vêpres au lieu de le conduire dans la grotte avec Didon. »

Il n’est cependant pas toujours question de latin dans les lettres de Mme de La Fayette. Parfois, elle plaisante l’activité d’Huet et ses fréquens voyages. « Seigneur Dieu, monsieur, lui dit-elle, vous allez et venez comme pois en pot. Qui donc vous fait si bien trotter ? Il semblerait quasi que ce serait l’amour, à vous voir aller si vite, et il me semble qu’il n’y a que pour son service qu’on fasse tant de chemin. » Puis elle continue après lui avoir dit quelques paroles obligeantes sur le regret qu’elle éprouve de son absence : « Pour n’être pas une amie si tendre et si flatteuse que de certaines femmes, je suis cependant une bonne amie. Adieu, vous pouvez encore