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riches et puissantes : le clerc et le moine. La tourmente révolutionnaire les disperse toutes deux au même titre ; le consulat n’en fait revivre qu’une seule : la séculière. A celle-là il réserve pensions et traitemens, cathédrales et presbytères. L’empire y joint des honneurs et un rang distingué : des lots gradués de coups de canons fêteront la prise de possession par les prélats de leur ville épiscopale ; l’archevêque précédera le préfet, et l’évêque le général de brigade. De l’autre branche ecclésiastique, les religieux des deux sexes, le concordat n’a pas fait mention, le budget est muet à leur égard. Leur ruine est définitive : prieurés, abbayes, futaies centenaires, grasses métairies en plein rapport, de cette immense fortune monacale, antérieure à la féodalité, presque contemporaine de la conquête barbare, la doyenne de toutes les propriétés existant en 1789 sur le sol national, il ne reviendra pas un are ni une pierre aux ordres à jamais abolis. Il n’est pas de place pour eux dans la société nouvelle. Le pape, écrit Portalis, « avait autrefois, dans les ordres religieux, une milice qui lui prêtait obéissance et était toujours disposée à propager les doctrines ultramontaines. Nos lois ont licencié cette milice ; désormais nous n’aurons plus qu’un clergé séculier, c’est-à-dire des évêques et des prêtres. » En effet, au milieu de l’allégresse catholique, tandis qu’à Paris les cloches de Notre-Dame annoncent à la France le couronnement de l’empereur par le chef de la chrétienté, et que le chant de la messe paroissiale se fait entendre, comme autrefois, dans les temples de la campagne, le « congréganiste » se cache et se déguise. Il ne peut interpréter en sa faveur le silence des pouvoirs publics. C’est avec intention que l’on n’a pas stipulé pour lui ; son froc demeure séditieux et punissable. Qu’il essaie de reparaître au grand soleil ou de s’enfermer dans un nouveau cloître, il ne tient qu’à un moment de mauvaise humeur du prince ou de ses ministres qu’on ne lui prouve, par des mesures rigoureuses, que ses vœux sont, non pas indifférens et ignorés de la loi, comme on serait en droit de le supposer dans un état vraiment laïque, mais contraires à la loi. Il en fit à diverses reprises, sous Napoléon Ier, la désagréable expérience.

Et voici que, malgré tout, ces ilotes prospèrent, qu’ils se recrutent, qu’ils s’enrichissent et se fortifient, qu’ils bâtissent et acquièrent, que chaque habit a ses favoris, que chaque règle a ses adeptes, les plus dures aussi bien que les moins pénibles, qu’il se trouve chaque année des Français et des Françaises pour se faire chartreux et carmélites, capucins et ursulines, frères prêcheurs et sœurs de charité, qu’il s’en trouve même pour se faire jésuites, quoique les jésuites, deux fois proscrits sous l’ancien régime, l’aient encore été deux fois en ce siècle, la première par Charles X