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Soutenir que l’Église ne reçoit ces 43 millions que par la bonne volonté de l’État, qui pourrait cesser demain, s’il lui plaisait, d’allouer un centime, soit parce que la propriété du clergé était une propriété sui generis, — comme si toute propriété n’était pas sui generis, — que la révolution a détruite en abolissant l’existence du clergé comme ordre, soit parce qu’à tout prendre le clergé ne serait pas plus fondé à se plaindre que les autres victimes des injustices politiques du passé, depuis les Templiers que l’on rançonna au moyen âge, jusqu’aux princes d’Orléans que Napoléon III avait légalement dévalisés, faire de pareils raisonnemens reviendrait à dire : « On vous a volés, mais consolez-vous, vous n’êtes pas les seuls ; avant le vôtre, beaucoup de droits ont été méconnus dans le monde, et il a été commis bien d’autres abus de la force. Avant la faillite de la révolution, il en avait été fait deux autres par la monarchie, dont aucune n’a été suivie d’un « concordat ; » et de même que l’État maintient la propriété, en règle l’usage et la transmission par ses lois, en prélève sa part par l’impôt, s’en empare contre indemnité s’il le juge convenable, de même il peut se l’approprier sans dédommagement, en vertu de ses « raisons, » que la raison n’a pas à connaître et dont il est seul juge. » Tenir un pareil langage ne serait pas le fait d’un régime qui a, au contraire, le souci de réparer toutes les injustices, qui les répare même avec largesse, témoin les pensions accordées il y a quelques années aux victimes du 2 décembre.


VI

Ce ne serait pas non plus le propre d’un gouvernement qui a souci de la paix morale des citoyens ; et c’est parce que « séparation de l’Église et de l’État » est devenue synonyme de « suppression du budget des cultes » que la majorité du parlement n’ose aborder la « séparation, » qui serait une réforme nécessaire, de peur qu’elle ne soit le signal de la « suppression » qui serait une déplorable persécution. Supposons toutefois que l’on entre dans vos vues, diront certains législateurs, que l’on dote le clergé catholique, représenté par l’épiscopat, d’une rente de 43 millions, en lui laissant le soin de la répartir entre ses membres et d’en faire tel emploi qu’il lui conviendra ; que, par le même acte, on brise tous les liens qui unissent l’Église à l’État, qu’on économise notre ambassade auprès du saint-siège et notre direction des cultes dont la mission serait désormais inutile, que l’on efface de nos lois tous les articles qui ont pour objet de garantir ou d’imposer quoi que