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-ment lorsque, très jeune encore, spectateur impartial et libre d’esprit, je n’étais soumis à la religion que par le respect.

Le déchaînement de toutes les opinions révolutionnaires, philosophiques et littéraires, fut général. C’était un feu roulant des malédictions de Diderot et des plaisanteries de Voltaire. Les hommes sensés qui approuvaient le concordat, par habitude du XVIIIe siècle ou par vanité d’esprit fort, conservaient un langage de moquerie. L’armée des fonctionnaires si mélangée et où l’on comptait d’assez nombreux prêtres mariés, manifestait son opposition, quoique disposée à obéir. La colère était plus vive encore parmi les militaires, soit qu’une vie de libre dissipation, soit que l’influence des principaux généraux, adversaires du concordat, leur inspirât cette révolte.

La négociation d’où sortit le concordat fut difficile. Bien des intérêts qui avaient pris racine en France depuis dix ans demandaient à être ménagés. La vente des biens du clergé, l’abolition des ordres religieux et la confiscation de leurs propriétés ne pouvaient être ni attaquées ni menacées. La constitution civile du clergé n’était pas présentable au pape, mais il importait de ne pas regarder comme exclus les évêques et les prêtres qui avaient prêté serment à cet acte, nonobstant la défense du saint-siège. On exigea une rétractation que Rome aurait pu trouver insuffisante et le clergé révolutionnaire offensante. L’assemblée constituante avait changé la distribution des évêchés, et supprimé un grand nombre d’entre eux ; il ne fallait pas revenir aux anciennes circonscriptions.

Dans tout autre temps, le saint-siège aurait énergiquement repoussé de telles propositions. Mais il s’agissait de rattacher la France à l’Église catholique ; le premier consul était pour la seconde fois maître de l’Italie, elles devaient être acceptées.

Au moment où les pourparlers touchaient à leur terme, le cardinal Consalvi, alors à Paris pour traiter du concordat, et qui s’était montré conciliant, vint un soir chez la marquise de Brignole. En ancienne amitié avec elle, il passait peu de temps sans la voir. Il avait ce jour-là une physionomie joyeuse et triomphante. La marquise lui demanda d’où lui venait tant de gaîté. Ils étaient seuls, et le cardinal lui répondit en toute confiance qu’il regardait le concordat comme conclu.

Puis il continua :

— Nous en sommes quittes à meilleur marché que nous ne nous y attendions. J’ai pouvoir pour des concessions autrement considérables.

Mme de Brignole, beaucoup plus en relations avec le premier consul que ne le pensait le cardinal, raconta dès le lendemain cet entretien à M. de Sémonville, pour que Bonaparte en fût informé.

Le premier consul écouta attentivement ce récit, puis il dit :