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de Bade donnait asile et protection à des conspirateurs qui complotaient l’assassinat du premier consul. Cet écrit aurait été présenté au conseil extraordinaire réuni par Bonaparte. M. de Talleyrand, sans aucun doute sur la volonté du premier consul, et qui le connaissait trop bien pour essayer de le dissuader, n’avait pas eu le courage de lui refuser cette déplorable complaisance. C’est ce qu’on ne pouvait s’empêcher de penser en lisant le rapport colporté par M. Perret ; l’exécution du duc d’Enghien y était même considérée comme une avance opportune aux hommes de la révolution.

Au moment de sa mort, M. Perret, pressé par un sentiment de remords, a avoué que ce document, ainsi que plusieurs autres, avait été falsifié. Il savait contrefaire parfaitement l’écriture de M. de Talleyrand, et comme il possédait les originaux, il put faire constater la vérité de sa rétractation aux personnes à qui il avait communiqué ces pièces. En relisant les Mémoires de M. Pasquier, j’ai trouvé note de ce désaveu.

Quant au duc de Rovigo, avant de devenir ministre et homme d’État, il se vantait hautement de la diligence et du zèle pour le service de l’empereur dont il fit preuve dans cette circonstance. Je le sus de plusieurs personnes de la cour, elles avaient entendu les récits de M. de Rovigo.

A la mort du duc d’Enghien, un mouvement universel d’indignation éclata de toutes parts. On se figure difficilement, dans notre époque de lassitude et d’indifférence, l’effet que produisit l’événement de Vincennes. Personne ne voulait y croire. J’étais, le soir du 21 mars, chez M. Benoist. M. Germain[1], surnuméraire comme moi au ministère de l’intérieur, entra tout troublé et répéta ce qu’il venait d’apprendre chez M. Delessert. Chacun s’écria :

— Quelle horrible invention !

Il insista, et M. Benoist lui dit :

— Finissez donc, Germain, c’est un indigne mensonge !

Le lendemain, le jugement se lisait placardé sur les murailles. Tous les visages étaient consternés ; on s’abordait entre gens qui se connaissaient à peine ; on se serrait la main avec expression. Outre les sentimens que provoquait cette iniquité, il faut songer

  1. Créé chambellan en 1806, M. Germain, après avoir fait quelques campagnes comme officier d’ordonnance de l’empereur, se distingua en 1809 par la défense du fort de Kuffstein dans le Tyrol et fut nommé, en 1813, ministre plénipotentiaire près le grand-duc de Wurtzbourg. Revenu à Paris après la défaite de Leipzig, il joua un rôle assez important en 1814 comme officier supérieur de la garde nationale. Préfet de Saône-et-Loire, de Seine-et-Marne sous la restauration, puis pair de France en 1819, le comte Germain mourut en 1821. Il avait épousé, en 1812, Mlle Constance de Houdetot, sœur de Mme de Barante.