Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/409

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est pour cela, précisément, qu’il faut l’élever dans la pleine clarté de la science, car seule la science peut redresser ses propres-mirages. Elle connaît ses pouvoirs, mais aussi ses limites. Elle sait que ses théories générales sont des conceptions provisoires, non des axiomes ou des dogmes, et, qu’en dehors d’un certain domaine, elles ne peuvent qu’égarer. Elle sait aussi qu’elle n’atteint que des faits et des lois, c’est-à-dire des faits encore, mais que le fond des choses lui échappe. Elle sait encore que dans les faits eux-mêmes il en est, — ceux qui nous importent et nous touchent le plus, les faits de l’ordre moral et de l’ordre social, — qui ont de tout autres lois que les phénomènes mécaniques. Elle ne confond pas la nécessité qui s’impose avec l’obligation qui s’accepte, et, se connaissant elle-même, elle n’entreprend pas sur la conscience.

Aussi plus notre esprit public paraît enclin à s’imprégner d’idées aux apparences scientifiques, plus on s’inspire, dans les choses de la politique et de la société, d’analogies ou de métaphores tirées des choses de la science, plus il importe, à l’âge où la jeunesse fait ses convictions, qu’elle vive dans des milieux où circulent librement tous les courans de la science.

C’est là, en effet, que les esprits s’affranchissent avec le plus de facilité, qu’ils se forment le mieux à la réflexion personnelle et s’habituent le plus sûrement à ne pas prendre « la paille des mots pour le grain des choses. » C’est là qu’ils peuvent le mieux acquérir les méthodes précises, et, avec elles, cette information générale et cette droiture de jugement qui dépouillent les réalités des apparences ; là encore que, s’appliquant chacun à un ordre particulier de travaux, mais vivant tous au même air, dans un air où se mêlent aux connaissances positives les idées et les sentimens qui viennent de la philosophie, de l’histoire, des lettres et des arts, ils peuvent, plus facilement que dans la demi-claustration et dans le demi-jour des écoles particulières, échapper aux préjugés d’origine, de classe et de métier, et se faire en commun une conception des hommes, des choses et de la vie. Tout les y excite et rien n’y fait obstacle. Tout les excite aussi, et la science, et l’histoire, et la philosophie, à ces énergies intérieures qui sont dans les individus le support des personnes, et dans les peuples celui des patries. Dans ces libres milieux où tout se reflète, le passé et le présent, le vrai et le beau, la patrie et l’humanité, où flottent aussi les germes de l’avenir, tout leur présente aux yeux les divers aspects de la dignité de l’homme, ses devoirs et ses responsabilités.

La belle charte intellectuelle et morale qu’on pourrait écrire pour nos Universités futures !

Aux Universités, les jeunes Français prendront les connaissances