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la Restauration, tous les grands personnages de l’époque s’étaient empressés de recourir, — depuis les princes de la Maison de France et les souverains étrangers que les événemens avaient amenés à Paris jusqu’aux ministres et aux ambassadeurs[1]. Gérard, tant que dura le gouvernement des Bourbons de la branche aînée, continua donc de jouir auprès de ses cliens couronnés et de ceux qui les entouraient d’un crédit exceptionnel. En pleine faveur aux Tuileries, où Charles X lui commandait le tableau du Sacre, comme Louis XVIII l’avait chargé de peindre l’Entrée d’Henri IV à Paris, — au Palais-Royal, où le duc d’Orléans le consultait sur le choix des artistes auxquels il devait confier des travaux pour sa galerie[2], — le premier peintre du roi gardait auprès du public une popularité qu’entretenait d’ailleurs incessamment la reproduction par les plus habiles graveurs de tous les ouvrages sortis de son pinceau. Les choses ne laissèrent pas de changer pour lui après 1830. Si ces dernières années ne s’écoulèrent pas, comme celles de Gros, dans un sombre isolement, elles furent du moins attristées par le déclin graduel du pouvoir qu’il avait si longtemps exercé sur l’opinion et quelquefois par la défection sans vergogne de ceux-là mêmes qui affectaient naguère le plus d’admiration pour ses œuvres et le plus de respect pour sa personne.

Gérard soutint jusqu’au bout, et en apparence avec sérénité, une épreuve rendue plus pénible encore par les infirmités, par l’affaiblissement de la vue surtout ; mais la mélancolie qui le minait sourdement envahit de plus en plus son âme. Si la fin volontaire de Gros le trouva aguerri contre la contagion de l’exemple, elle fut pour lui comme un avertissement lugubre. Un de ses amis accourt chez lui au moment même où la fatale nouvelle venait de se répandre dans Paris : « Gros et moi, lui dit Gérard, nous avons été condisciples, nous avons été rivaux, nous avons été ennemis[3] ; quels souvenirs ravive en moi la mort d’un pareil homme !… La

  1. Sans compter les tableaux de Gérard appartenant à la même époque, le nombre des portraits peints par lui dans le cours des six premières années seulement du règne de Louis XVIII s’élève à vingt-deux, dont quatorze en pied.
  2. Voir à ce sujet les lettres du duc d’Orléans, depuis le roi Louis-Philippe, dans la Correspondance de François Gérard, publiée par M. Henri Gérard, son neveu ; Paris, 1867.
  3. Cette inimitié, d’ailleurs, ne se traduisit jamais ni d’un côté ni de l’autre par des actes d’injustice aveugle. Lorsque, en 1815, Gros posa sa candidature à l’Académie des Beaux-Arts, Gérard, qui faisait partie de la compagnie depuis plusieurs années déjà, s’y montra si ouvertement favorable que Gros, malgré ses anciens ressentimens, ne put s’empêcher d’en être touché et de le lui dire : « Je vous croyais, lui écrivait-il, si mal disposé à mon égard que j’avais regardé la visite d’usage à vous rendre comme impraticable pour moi. Je désire que mes remercîmens sincères réparent cette omission… »