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que j’avais admirée. Je crus être fort poli en lui disant : « N’est-ce point votre fille, madame ? » D’un ton fort sec elle me répondit : « Non, monsieur, c’est moi. » Je n’ajoutai pas un mot et je me retirai en saluant.

Elles sont instructives, ces chambres où le pensionnaire seul, libre, loin des regards, reprend instinctivement ses vieilles habitudes ; dans le même corps de bâtiment, au long du même couloir, porte à porte peut-être, on trouve « la mansarde » du bohème qui s’est usé dans les brasseries et « le boudoir » de la petite-maîtresse que l’âge n’a point corrigée et qui minaude encore malgré la sciatique et la surdité. Là, mieux qu’ailleurs, on peut reconnaître que l’homme reste semblable à lui-même, sans s’apercevoir que l’âge produisant sur lui, en quelque sorte, l’effet d’un microscope, rend ses défauts plus nets, plus gros et plus apparens. Heureusement que nous ne nous voyons pas tels que nous sommes et que nous pouvons continuer à mécontenter les autres en restant satisfaits de nous. C’est une grâce d’état et une des plus précieuses qui nous aient été accordées.

Outre le jardin, suffisamment spacieux, où l’on se promène parfois de compagnie, où l’on peut s’asseoir pour causer des neiges d’antan, les pensionnaires ont des salles de réunion qui les groupent selon leur convenance. Un fumoir, sur la table duquel je vois un jacquet, m’a paru peu fréquenté ; il est juste de dire que les journées étaient tièdes, au renouveau qui entrouvrait les bourgeons des marronniers, et que deux ou trois fumeurs avaient préféré se promener solitairement dans les allées. Le salon de réception, commun à tous et à toutes les pensionnaires, n’est guère occupé que le soir. Il est conforme au goût actuel : blanc et or, meublé de sièges en velours rouge ; aux murailles les portraits des frères Galignani ; les tables de jeu permettent des parties de piquet, de whist, d’échecs ; je crois que le tric-trac est banni comme trop bruyant et de nature à gêner les conversations ; le salon est précédé d’une véranda qui fait office de salle d’été et où l’on aime à passer les soirées pendant la saison chaude. L’installation est excellente, presque luxueuse, et bien des familles bourgeoises, riches, aimant leurs aises, n’ont point un salon pareil. Dans certaines circonstances on y offre des fêtes : concerts, saynètes, monologues. Il est question, je crois, d’y donner une représentation théâtrale ; on jouera une pièce qui jadis a eu un succès retentissant ; si l’auteur désire surveiller les répétitions, rien ne lui sera plus facile, car il habite la maison.

En communication avec le salon s’ouvre la salle de lecture, de style simple et d’aspect recueilli. Sur les tables, je vois une