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penser et que l’initiative privée, — individuelle ou collective, — devrait, dès à présent, essayer de résoudre.

L’exemple a déjà été donné. Au siècle dernier, M. de La Rochefoucauld fonda, en mars 1781, une maison d’environ deux cents lits destinés à des officiers, des ecclésiastiques, des magistrats vieillie et indigens. Malheureusement, la révolution survint, qui s’empara de cet asile et en fit d’abord un hôpital de district, puis une succursale des incurables ; aujourd’hui c’est un simple hospice pour la vieillesse ; la destination première n’a pas été relevée. L’hospice de la Reconnaissance, dont la population est actuellement de 814 personnes, a été créé à Garches, en 1828, par Michel Brezin, ancien entrepreneur de fonderies et de forges. Par testament, il consacra une somme considérable à l’établissement d’un asile exclusivement réservé aux anciens ouvriers forgerons, mécaniciens, serruriers et « autres travailleurs du marteau qui l’avaient aidé à augmenter sa fortune. » Enfin, Olympe Descuillers, qui était si belle qu’Horace Vernet la choisit pour modèle de sa Judith et qui épousa Rossini, a installé dans les dépendances de Sainte-Périne, à Auteuil, une maison où sont recueillis, hébergés et défrayés, « les artistes chanteurs français et italiens âgés et infirmes des deux sexes. » Cinquante personnes y vivent aujourd’hui à l’abri du besoin. Si à ces chanteurs et à ces forgerons on ajoute les frères de la doctrine chrétienne de Fleuri-sous-Meudon, les prêtres de l’infirmerie Marie-Thérèse dont Mme de Chateaubriand fut la plus ardente zélatrice, les pensionnaires de la maison des frères Galignani, on reconnaîtra qu’il reste beaucoup à faire[1].

Si, en France, l’État est sans cesse assailli de demandes d’emploi, si toutes les administrations publiques sont encombrées au point d’être une cause d’embarras pour le budget, si le fonctionnarisme est devenu une sorte de maladie envahissante et périlleuse, c’est qu’au bout d’un certain nombre d’années de service on est assuré d’une pension qui, si médiocre qu’elle soit, empêche de mourir de faim et de dormir à la belle étoile. On fait une retenue sur les émolumens des officiers, des employés civils, afin de pouvoir leur constituer une pension de retraite ; c’est au mieux, quoique pour beaucoup d’entre eux cette retenue soit une cause de gêne et de privations souvent plus pénibles que l’on n’imagine. Cette mesure légitime, faite de prévoyance et d’humanité, qui est si bien passée dans nos mœurs qu’elle ne soulève aucune objection, ne pourrait-on la généraliser et ne pourrait-elle être le résultat d’une libre entente individuelle ? Incedo per ignes. Tant de projets sont en l’air à ce

  1. Je ne parle que de Paris, j’ignore ce que la province fait pour ses ouvriers vieillis, indigens et valétudinaires.