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sur l’hérédité et peut produire une transmission héréditaire de force cérébrale ; dans le second, elle n’agit pas ou agit dans un mauvais sens, en épuisant le système nerveux. Ce qui se transmet par hérédité d’une génération à l’autre, c’est la force intellectuelle, ce ne sont pas les connaissances apprises. De là le criterium que nous proposerions pour juger les méthodes d’éducation et d’enseignement : y a-t-il augmentation de force mentale, morale, esthétique ? la méthode est bonne. Y a-t-il simplement un emmagasinage dans la mémoire ? la méthode est mauvaise, car le cerveau n’est pas un magasin à remplir, mais un organe à fortifier.

C’est donc justement que les inconvéniens physiques et intellectuels du surmenage préoccupent aujourd’hui l’attention. Dans notre système d’instruction, il y a réellement surmenage pour les bons élèves, puis pour ceux qui veulent réussir à un examen, entrer dans une école du gouvernement. Mais il n’y a pas de surmenage pour la majeure partie des élèves : il y a simplement perte presque complète de temps, années passées à « user les bancs du collège, » De tout ce qu’on fait défiler devant leur esprit, ils se gardent bien de retenir autre chose que quelques notions vagues et confuses ; ils assistent en paresseux aux excursions de leurs professeurs successifs à travers les sciences de toutes sortes ; ce qui est surmenage pour les autres n’est pour eux que du vagabondage intellectuel. Si tous les enfans se surmenaient, la race serait bientôt perdue : « Les paresseux, dit M. Guyau, la sauvent physiquement. » Par malheur, ils contribuent d’autre part à la maintenir dans la médiocrité intellectuelle et morale, comme aussi à donner une fausse direction aux affaires publiques. On aurait conservé les avantages de leur paresse sans en subir les inconvéniens si, au lieu d’exiger de tous tant de connaissances dont la plupart sont inutiles, on avait exigé les connaissances strictement nécessaires et un nombre modéré de belles connaissances, propres à élever l’esprit en même temps qu’à l’intéresser. Par là on supprimerait un grand nombre de paresseux sans tomber dans le surmenage et sans abaisser finalement la race qu’on prétend élever. Il ne faut pas s’inquiéter de la quantité de choses qu’un enfant sait, mais de la façon dont il sait et dont il a appris, surtout de la vigueur générale qu’il a retirée de ses exercices et qui seule sera un profit net pour l’espèce. Comment se refait la terre ? Elle se refait au soleil, à l’air, à la pluie, par la libre action des forces qui la travaillent incessamment ; calme à la surface, elle s’agite et germe en dessous. De même pour l’esprit. Il faut, à certains momens, laisser agir la nature, ne pas brusquer le travail d’organisation inconsciente et spontanée qui s’accomplit au fond du cerveau, comme on laisse