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sont actuellement les plus forts, et qui ne devraient se considérer que comme les représentans de tous, y compris la minorité même, qu’ils ont battue. La vraie volonté nationale ne s’épuise pas dans la somme des volontés individuelles du moment. Des millions de volontés dispersées et incohérentes ne font pas une volonté nationale, et les générations présentes ne sont elles-mêmes qu’un fragment de la patrie ; un plébiscite dicté par les circonstances, par les passions ou les intérêts de la foule à un moment donné, n’est pas la volonté nationale, encore bien moins la volonté ethnique. C’est un cyclone momentané, ce n’est pas un courant constant et continu comme le Gulf-stream qui porte les navires. Une politique qui ne considère que les suffrages du moment, sans vue lointaine, est une politique de tempêtes ; et si l’éducation suivait la même méthode, si elle ne travaillait pas pour la race entière, pour cette vraie « universalité » qui comprend l’avenir comme le présent, elle tendrait à compromettre l’existence de la nation, qui ne vivrait plus qu’au jour le jour. L’esprit public s’affaisserait dans la recherche des intérêts immédiats et personnels ; le nombre étoufferait l’intelligence, et le résultat final serait l’abaissement universel.

Si encore une nation était seule au monde, ou environnée d’une sorte de muraille chinoise ! Mais il faut lutter contre les nations voisines et obtenir, non pas seulement l’égalité avec elles, mais la supériorité sur elles, sous peine de dégénérer. Les nations, nous l’avons vu, sont loin d’être soumises aux belles lois d’égalité que rêvent les Rousseau et les Proudhon ; or, pour être supérieur aux autres peuples, et même simplement pour ne pas leur être trop inférieur, un peuple est obligé de susciter en son sein toutes les supériorités possibles. C’est pour cette raison que l’éducation est un problème non-seulement national, mais encore international. Après nos désastres de 1870, — comme les Allemands après Iéna et du temps de Fichte, — nous en avons tous eu le vif sentiment ; mais on a trop cherché les causes de nos défaites dans un simple degré du savoir et de l’instruction pure ; on s’est, en conséquence, laissé entraîner aux considérations utilitaires. Le peuple, dans son ignorance, s’était écrié : Nous sommes battus, donc nous sommes trahis ; » non moins naïfs, les hommes instruits ont dit à leur tour : — « Nous sommes battus parce que nous ne savons pas la géographie, ou l’histoire, ou les mathématiques, ou la mécanique. » Et, du haut en bas de l’échelle, on a surchargé les programmes de sciences aux dépens de la littérature classique. Le résultat n’a été que d’abaisser l’ensemble des études, comme on le reconnaît aujourd’hui. Les victoires tiennent à des causes plus profondes que l’état intellectuel et que les connaissances