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l’Angleterre, mieux valait mettre bas les masques et causer, à visage découvert, avec un interlocuteur qu’on pouvait interroger et qui pouvait répondre.

La concession du gouvernement anglais, d’ailleurs, n’était qu’apparente, car si quelques-uns des ministres britanniques désiraient la paix, pour mettre fin à des dépenses très onéreuses, le roi lui-même y était moins disposé que jamais, et on ne lui arracha son consentement qu’à la condition de lui laisser prendre, par le choix du commissaire, toute garantie qu’on ne le mènerait dans la voie pacifique, ni plus vite, ni plus loin, qu’il ne voudrait. C’est ce que le premier ministre Pelham expliquait clairement à un de ses amis. — « Nous allons nommer, écrit-il, un plénipotentiaire pour le congrès secret qui doit se tenir à Breda, ou dans toute autre ville neutre. Je vous ai dit, je crois, qu’on ne trouvera personne qui, sachant de quoi il s’agit, se soucie de cette mission. Je disais vrai : puisque celui à qui on songe pour la remplir est lord Sandwich.. Le roi le trouve à son gré, et le motif à mes yeux de cette préférence, c’est qu’il le sait décidé à ne jamais céder sur le Cap-Breton, et le roi n’ignore pas que, sans cela, il n’y a pas de paix possible. De plus, il pense que, comme lord Sandwich est un jeune homme sans expérience dans les affaires, il semblera naturel de ne lui donner aucune instruction définitive, ce qui l’obligera à ne rien accepter qu’ad referendum, et Sa Majesté sera ainsi en liberté de dire non à tout ce qui ne conviendra pas soit à son intérêt, soit à son humeur. Sandwich fera sûrement du mieux qu’il pourra ; mais si nous n’allons pas plus droit chemin nous-mêmes, on aurait beau envoyer un ange, il n’aboutira à rien[1]. »

Ce fut, en effet, Breda (comme l’indiquait le ministre anglais) qui fut choisi pour le lieu du rendez-vous : la ville était bien en territoire hollandais, mais la Hollande, nominalement au moins, était toujours réputée neutre. Puisieulx fut désigné pour s’y rendre. Confident des sentimens de d’Argenson et choisi pour les seconder ; il devait, semble-t-il, y porter des intentions plus sincères que le commissaire anglais. Mais pendant les quelques semaines nécessaires pour préparer sa mission, l’habile homme qui cachait, sous un extérieur humble, beaucoup de savoir-faire, d’esprit et d’entregent, avait eu ; le temps de prendre langue à la cour. Les frères Paris, qu’il connaissait, l’introduisirent dans ce que d’Argenson appelle les détours du sérail, c’est-à-dire probablement chez Mme de Pompadour, où son jésuitisme et son patelinage (c’est toujours d’Argenson qui parle) furent goûtés. Il ne lui fallut pas longtemps pour s’apercevoir que, pour arriver à l’oreille du roi, il y avait des chemins

  1. Pelham à Walpole 29 juillet 1746. — Pelham administration, t. I, p. 332.