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d’Alexandre le Grand, était vers 330 avant Jésus-Christ à Athènes, et se rendait chez un certain Grason dont le nom veut dire : « Qui sent le bouc. » Quelqu’un la rencontra et lui demanda où elle allait : Aigei ton Pandiônos, répondit-elle ; ce qui signifie : chez Egée, fils de Pandion ; mais Aigi est aussi le datif de aix, chèvre, ce qui faisait un jeu de mots. Cette plaisanterie n’a de sens que si les deux mots ont la même prononciation. — Didyme, grammairien d’Alexandrie, voulait qu’on écrivît Argiphontès et non Argeiphontès, le surnom de Mercure. Un autre du même temps écrivait Stagira et non Stageira, la ville de Macédoine, patrie d’Aristote. — Platon, dans son Cratyle, dit que Poséidon, nom grec de Neptune, s’écrivait auparavant Posidôn et qu’on y a ajouté un e pour allonger la voyelle. — Aristophane, dans sa pièce des Thesmophories, introduit un Scythe qui n’a pas une prononciation correcte, qui abrège les voyelles longues et dit : ti légi par un i bref, au lieu de ti légei par un i long. Dans les Grenouilles, il y a parité de son entre Khios, de Chio, et Keios, de Céos. — Enfin, il y a dans Thucydide des assonances qui démontrent l’identité de son entre la diphtongue ei et l’i long dès le Ve siècle avant Jésus-Christ. On voit donc clairement que la tradition sur ce point est constante, pour le moins depuis deux mille trois cents ans.

L’écrivain athénien qui vient de réunir en un gros volume les faits relatifs à la prononciation de sa langue maternelle, passe en revue toutes les lettres de l’alphabet, aussi bien les consonnes que les voyelles. Il groupe pour chacune d’elles les documens fournis par les auteurs de toute époque et par les inscriptions ; il analyse et discute chacun d’eux et aboutit toujours à la réfutation du système érasmien. Cette réfutation a pour corollaire inévitable que la manière de parler des Grecs modernes est la vraie et que, si depuis l’antiquité elle a éprouvé des altérations, ces changemens ont été fort petits et sont pratiquement négligeables. Il remarque aussi à plusieurs endroits de son livre que l’iôtacisme tant reproché aux Hellènes, c’est-à-dire la représentation du son i par diverses lettres, est moins absolu qu’on ne le dit : il y a des nuances de sonorité entre ces i, comme il en existe en français entre fer et faire, mer et mère, pain et peint. Les étrangers ont quelque peine à saisir ces différences ; elles n’en existent pas moins. Voici du reste ce que donne le relevé statistique de 17 dans quelques langues connues : sur 100 voyelles employées par les auteurs, il y a en grec 26 i, 27 en latin, 36 en français, 42 en allemand. Il y a en sanscrit 68 a sur 100 voyelles. Il est vrai de dire que parmi ces a beaucoup sont longs et se distinguaient aisément ; parmi les brefs, plusieurs ont un son qui se rapproche de l’o bref des Grecs, des Latins et des Français. Il faut ajouter que ce que l’on reproche aux Hellènes, ce n’est