Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/65

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais, l’envoyé anglais n’en maintenant pas moins son exigence, il fallut en prévenir le cabinet français et attendre de savoir ce qu’il en penserait. La réponse de d’Argenson porta l’empreinte de toute l’honnêteté de son âme : d’une part, l’indignation causée par une manœuvre déloyale ; de l’autre, la crainte, en s’abandonnant à ce sentiment, de briser tout de suite le dernier fil d’une négociation d’où pouvait dépendre la fin des maux de la guerre. On ne pouvait, suivant lui, qualifier trop sévèrement une conduite inattendue qui n’était ni décente, ni honnête, et la nomination de l’envoyé autrichien dont on ne nous avait pas même prévenu était une véritable insulte. — « Aussi, monsieur, c’est par un ordre formel et précis de Sa Majesté, que je vous répète ce que j’ai déjà eu l’honneur de vous mander de vous opposer absolument à l’intervention de tout plénipotentiaire autrichien et piémontais à vos conférences, et s’il en vient, de n’avoir aucun rapport avec eux. Je connais trop, ajoutait-il tout de suite, votre sagesse et votre habileté, pour ne pas être persuadé que vous tiendrez dans cette conjoncture intéressante une contenance de dignité et de modération… et je ne dois pas oublier de vous rappeler que, tout en continuant de vous expliquer et de vous conduire avec noblesse et fermeté, vous devez toujours éviter avec grand soin de rompre la négociation[1]. »

La nuance indiquée par d’Argenson eût peut-être été difficile à trouver, mais Puisieulx, à dire le vrai, ne prit même pas la peine de la chercher. Avant de recevoir cette instruction à double face, il avait pris une attitude de dignité offensée et de hauteur railleuse dont il lui eût été difficile de descendre. Resté en relations quotidiennes avec les agens hollandais, cet homme si doux la veille et presque caressant, ne leur ménageait plus ni les soupçons injurieux, ni les expressions blessantes. Au moindre incident, il jetait feu et flamme : un de ses courriers s’étant laissé surprendre et arrêter en territoire hollandais par un détachement autrichien, il exigeait des excuses et des réparations publiques, et comme Gillis, nommé pensionnaire en place de Van der Heim, lui promettait de rendre le messager sain et sauf et le paquet intact : — « Par Dieu, lui ai-je dit, il s’agit bien de mon courrier, toutes les troupes de votre république qui sont dans les mains de mon maître m’en répondent, mais je viens vous déclarer que le roi, en m’envoyant

  1. D’Argenson à Puisieulx, 16 octobre 1746.