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oui ou non passé la Meuse ? — Et sur ce qu’il me répliqua qu’il le croyait : « Eh bien ! lui ai-je dit, tenez que vous êtes battus, car nous avons ce que nous voulions. » — Et quelques jours après, comme Wassenaer faisait des réflexions d’une sympathie hypocrite sur les malheurs des armées françaises : — « Vous avez bien raison, lui ai-je dit, car si la reine de Hongrie venait à enlever le royaume de Naples, nous nous en dédommagerions aux dépens de la république… Enfin, il est temps de se décider : il faut que vous fassiez faire la paix ou que vous soyez notre ennemi. Si vous choisissez le premier parti, vous acquerrez pour ami le plus puissant allié de l’Europe : si vous prenez le second, il faut que vous nous détruisiez ou que vous payiez tôt ou tard les désastres de l’Italie. Il m’a répondu en haussant les épaules : — Quel avenir ! — et il s’en est allé[1]. » — Enfin, avec d’Argenson lui-même, il résumait en ces termes l’état de la négociation : — « Les Hollandais veulent la paix et ne la feront pas, les Anglais n’en veulent pas, mais la feraient peut-être. La reine de Hongrie la fuit et la craint et entraîne ses alliés. »

Rien n’était moins dans le caractère et dans les intentions de d’Argenson que cette manière de mener une négociation, le fouet levé et tambour battant ; il ne reconnaissait plus l’agent naguère si complaisant et ne comprenait rien à cette ardeur subite de tempérament : — « M. de Puisieulx, dit-il, eut une tout autre conduite à Breda qu’il n’avait eue à La Haye,.. autant il avait réussi à ce dernier emploi par la docilité, autant il se montra à Breda d’une suffisance stupide et atrabilaire. Il voyait tout en noir et faisait des remontrances sur tout ce que je lui prescrivais,.. je l’attribuais à sa mauvaise santé… — On admirait, ajoute-t-il, ses dépêches au conseil. » — Il y avait donc une explication plus simple : c’est que ce n’était plus à lui que Puisieulx songeait à plaire.

Menée pourtant d’un tel train, la négociation ne pouvait tarder à être rompue, et pour éviter cet éclat, d’Argenson, voyant que Puisieulx, ou ne trouvait pas, ou ne lui proposait aucun expédient, en chercha. un dans sa propre imagination, et voici celui dont il s’avisa. On ne s’opposerait pas à l’arrivée des plénipotentiaires autrichiens et piémontais, puisque aussi bien ils étaient en chemin et qu’il, n’y avait pas moyen de les arrêter : mais on ne les admettrait pas non plus à la conférence, on les laisserait en quelque sorte à la porte, ne prenant pas part aux délibérations et ne communiquant qu’avec

  1. Puisieulx à d’Argenson, 7, 9, 13, 17, 22 et 30 octobre 1746. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.) — Les correspondances relatives aux conférences de Breda et au congrès d’Aix-la-Chapelle sont classées dans les volumes de la Correspondance de Hollande.