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sa cour aux billes et à la marelle, mais la politique ne l’oublia pas, et il fut mis sous clef.

Plus avisé avait été le docteur Priestley, qui, élu par deux départemens, déclina cet honneur. Il avait fait venir en France son fils William, « pour vivre chez un peuple brave et hospitalier et apprendre de lui à abhorrer la tyrannie. » William fut naturalisé et déclara qu’il y avait plus de gloire à devenir citoyen français qu’à régner sur un peuple asservi. Comme Robert Pigott, ce jeune homme, qui méprisait les couronnes, avait son idée : il comptait qu’en se fixant en France, il y ferait fortune dans le commerce. La guerre avec l’Angleterre ayant dérangé son projet, il passa en Amérique, s’y maria et y posséda une grande ferme. Il s’était dit que les sages n’ont rien à gagner avec les fous, qu’il faut les laisser à leur folie et cultiver son jardin.

Enthousiastes de bonne foi ou hypocrites raffinés, idéalistes au large front ou spéculateurs à l’œil de renard, fanatiques sincères, intrigans ou scélérats, on retrouve facilement parmi les étrangers qui ont servi la révolution pendant les années sanglantes toutes les variétés de jacobins français. Ce sont les mêmes passions ou les mêmes calculs, les mêmes procédés, la même rhétorique et les mêmes gestes. Ils ont un air de famille, ils parlent la même langue et ne diffèrent que par l’accent. La plupart étaient des hommes médiocres, qui, grandis subitement par les circonstances, eurent le bonheur inattendu de jouer un rôle et d’apprendre leur nom à l’histoire. « La révolution, comme le dit M. Alger, fut pour les peuples et les individus une de ces grandes épreuves qui contraignent la nature humaine à se surpasser dans le bien comme dans le mal ; les lumières ont plus d’éclat, les ombres s’épaississent. Grâce à une culture forcée, on vit pousser rapidement dans cette serre chaude les plus belles fleurs et les plantes les plus vénéneuses. Des hommes qui n’étaient ni très bons ni très mauvais, et qui dans des temps ordinaires auraient été fort ordinaires eux-mêmes, devinrent des héros ou des démons. »

M. Alger range parmi les admirateurs et les imitateurs de Marat George Grieve, qui ne fut peut-être qu’un habile coquin. Descendant de tabellions anglais, politiciens échauffés ou véreux, il avait l’esprit des affaires. Il se vantait d’avoir fait guillotiner dix-sept suspects ; sans doute, il y avait trouvé son compte. Cet homme aux ténébreux calculs, alléché par l’odeur d’une proie, vient s’installer en 1792 à Louveciennes. Il y fonde un club, qui, profitant d’une absence de Mme Da Barry, siège dans son salon. Grieve corrompt ou intimide Zamore, l’Hindou qu’elle avait élevé et qui jadis, travesti en Cupidon, portait l’ombrelle de sa maîtresse quand elle allait à la rencontre de Louis XV. Fort des indiscrétions et de la complicité de ce très ingrat domestique, il tient sa victime et ne la lâche plus. Il dénoncera Mme Du Barry dans un pamphlet, qu’il signe : « Homme de lettres, officieux défenseur des