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fournissait lui-même l’occasion par l’envoi de l’ambassade extraordinaire dont il avait pris tant de soin à organiser les préparatifs.


II

En réalité (on n’allait pas tarder à le voir), le malentendu le plus complet existait entre les deux cabinets saxon et français sur le parti que l’un et l’autre entendaient tirer de cette alliance princière, objet de deux négociations, l’une officielle et l’autre secrète. Dans la pensée de d’Argenson, le rapprochement des deux familles royales, naguère ennemies, ne devait être que le préliminaire d’une autre réconciliation qui lui tenait presque autant au cœur : c’était celle d’Auguste III et de Frédéric. Le rétablissement de relations intimes entre les deux voisins était l’idée fixe de d’Argenson, recommandée à ses agens, dans toutes ses instructions, l’un de ses rêves, en un mot, et de tous peut-être le plus impossible à réaliser dans la circonstance et avec les caractères donnés. Auguste, au contraire, et plus encore Brühl, son tout-puissant favori, persuadés l’un et l’autre (et ils n’avaient pas tort) que Frédéric leur portait une haine mêlée de dédain qui ne pardonnerait pas, ne se souciaient nullement de courir après une amitié qu’ils ne se flattaient pas d’obtenir. Toujours inquiets d’être atteints par quelques traits nouveaux d’une ambition remuante qui ne laissait personne en repos, ils se rapprochaient, au contraire, de plus en plus de l’Autriche et de la Russie avec qui ils venaient de conclure un nouveau traité d’alliance défensive dont les dispositions étaient plus étroites encore que les précédentes. Le rêve de Brühl (car lui aussi rêvait éveillé), c’était, après s’être porté médiateur entre Louis XV et Marie-Thérèse, d’entraîner plus tard la France dans une coalition nouvelle contre la Prusse. C’est à quoi il avait travaillé et cru réussir l’année précédente, dans cette négociation engagée à la veille de la paix de Dresde, qui en aurait prévenu peut-être les humiliantes conditions et qui n’avait manqué que par la mauvaise volonté de d’Argenson et l’obstination du ministre français à rester fidèle à tout ce qui venait de Berlin.

Quelle meilleure occasion pour renouer la trame rompue que l’arrivée d’un ambassadeur extraordinaire de Louis XV, porteur d’une mission toute de concorde et de paix ! Mais la condition était d’écarter l’obstacle qui l’avait fait manquer une première fois, et cet obstacle s’appelait d’Argenson. En un mot, entre deux ministres qui cherchaient à exploiter l’alliance nouvelle dans deux sens contraires : l’un tirant à gauche et l’autre à droite, l’un vers la Prusse et l’autre vers l’Autriche, l’accord et même la vie commune