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Deschanel l’a dit justement, c’est de reconnaître le mal et de s’en avouer les causes, c’est d’en finir avec une politique de parti qui a prétendu « fonder le gouvernement d’une nation sur une moitié de cette nation, » en se mettant en guerre avec l’autre moitié ; c’est de revenir à un sentiment plus large, plus libéral, des intérêts de la France, et par une coïncidence curieuse, en parlant ainsi, le jeune orateur du Palais-Bourbon ne faisait que reproduire le programme que M. le président du conseil exposait il y a plus de dix années déjà à Nantes, à Bordeaux, lorsqu’il engageait les républicains à se montrer plus tolérans, à respecter les susceptibilités des autres partis, à rassurer les croyances, à rallier toutes les bonnes volontés. M. de Freycinet a peut-être un peu oublié pendant longtemps ses propres conseils ; il est aujourd’hui au pouvoir, il n’a qu’à être de son opinion d’il y a dix ans, qui commence à être l’opinion de tout le monde. M. le président de la république qui vient de faire un nouveau voyage et de nouveaux discours à Montpellier, à Besançon, à Belfort, à Troyes, disait, ces jours derniers encore, que la préoccupation du gouvernement était de faire « l’union et la conciliation entre tous les citoyens, que la réconciliation des Français entre eux sera la force de notre pays. » On ne peut mieux dire ; c’est certes la meilleure des politiques, — à condition toutefois qu’elle ne soit pas seulement dans les mots, qu’elle passe dans les faits, dans les actes, dans les lois, dans l’administration.

La faiblesse de nos républicains d’aujourd’hui est de ne pouvoir se décider, d’être le plus souvent à côté des questions ou de ne les voir, si l’on veut, qu’avec leurs passions, avec leurs préjugés, avec ces troubles qui s’appellent des « états d’esprit. » Ils ont des impressions, des velléités plutôt que le sens des grandes réalités ou une mesure exacte des choses, et ce qui n’est rien dans un débat sur la presse prend aussitôt plus de gravité dès qu’on touche à ces questions sociales qui deviennent, à l’heure qu’il est, une obsession universelle, qui retentissent dans tous les parlemens comme dans les conseils des princes. Qu’on ait sans cesse les yeux fixés sur ces problèmes qui intéressent des millions d’hommes voués au travail ; qu’on recherche par tous les moyens, par les lois ou par l’action des gouvernemens, à relever la condition morale et matérielle des immenses populations des champs ou de l’usine, rien, certes, de plus légitime, de plus nécessaire. C’est désormais la grande affaire du temps. Ce qu’on appelle le socialisme n’est peut-être qu’un mot décevant et trompeur : sous ce mot se cache la véritable question, celle de l’amélioration de l’état des ouvriers. La difficulté est de rester dans la vérité pratique, de concilier tous les indécis, et c’est là justement qu’un jugement ferme est le plus nécessaire, parce que toutes les expériences peuvent être périlleuses. Or comment l’entend-on aujourd’hui parmi nos hommes publics ? Ce ne sont pas, certes, les projets et les propositions qui manquent. Il y a