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En tout cas, si ce n’était pas l’envoyé extraordinaire, d’Argens, c’était le ministre accrédité à Dresde, le conseiller de Klingræff, qui était chargé de veiller de près aux faits et gestes de Richelieu. « Je ne connais pas personnellement, lui écrivait le roi, le duc de Richelieu, mais je crains fort les algarades françaises… Voici la conduite que vous devez tenir avec lui : dès qu’il sera arrivé et que vous lui aurez fait les politesses ordinaires, vous devez pénétrer d’abord si c’est un homme capable à prendre conseil de vous, ou s’il est fier, présomptueux et indocile eu égard (sic) de conseils d’autrui. Au second cas, vous devez vous conduire bien prudemment avec lui, et observer tous les pas que vous ferez avec lui pour ne pas être mêlé à ses brouilleries. Mais en cas que ce soit un bon naturel, capable à suivre les bons conseils, vous devez agir fort honnêtement avec lui, et le mettre au fait de toutes les circonstances de la cour où vous êtes, afin qu’il ne risque pas de faire quelque faux pas ou démarche fausse. Vous devez même lui dire que c’est par un ordre exprès que je vous avais donné d’agir très confidemment envers lui, et d’aller en tout de concert avec lui. Au surplus, vous ne manquerez pas d’être bien alerte sur tout ce qu’on fera avec lui et de me faire des rapports assez détaillés et exacts[1]. »

C’était déjà beaucoup de soustraire l’envoyé extraordinaire de Louis XV aux caresses de Frédéric, auxquelles un ami de Voltaire n’aurait été que trop sensible : pouvait-on faire quelque chose de plus, et le tournant en sens opposé, faire servir cette mission d’apparat à entamer avec la cour de Vienne une négociation dont celle de Dresde serait l’intermédiaire ? Rien n’était impossible, suivant le comte de Loos. pourvu qu’on sût prendre le duc par son côté faible. — « En le flattant, en applaudissant à ses magnificences, écrivait l’envoyé saxon, on le gagne aisément, puisqu’il se pique de passer pour un des plus magnifiques seigneurs du royaume… Les politesses qu’on lui fera feront beaucoup d’impression sur son esprit[2]. »

L’opération était délicate pourtant, vu l’intimité du duc avec d’Argenson et la communauté de vues qui semblait exister entre eux. Un seul homme parut propre à tenter l’épreuve : ce fut le maréchal de Saxe, moins sans doute par son influence personnelle (Richelieu se croyait trop près d’être son égal, sinon son supérieur, pour lui témoigner tant de déférence), mais parce que le haut degré de

  1. Frédéric à Klingræn, ministre à Dresde, 29 décembre, 1746. — Pol. corr.. t. V, p. 277.
  2. Loos à Brühl, 1er décembre 1746. (Archives de Dresde.)